dimanche 16 mars 2014

Lisez-vous l'Evangile?

Paroles du pape avant la prière de l'Angelus

Chers frères et sœurs, bonjour,

Aujourd'hui l’Évangile nous présente l’événement de la Transfiguration. C'est la seconde étape du chemin du carême : la première, les tentations dans le désert, dimanche dernier ; la seconde : la Transfiguration. Jésus « prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne. » (Mt 17,1). La montagne dans la Bible représente le lieu de la proximité avec Dieu et de la rencontre intime avec Lui ; le lieu de la prière, où demeurer en la présence du Seigneur. Là-haut, sur le mont, Jésus se montre aux trois disciples transfiguré, lumineux, très beau ; et puis apparaissent Moïse et Élie, qui s'entretiennent avec Lui. Son visage est si resplendissant et ses vêtements si immaculés, que Pierre en reste fulguré, si bien qu'il voudrait rester là, comme pour fixer ce moment. Soudain résonne d'en haut la voix du Père qui proclame Jésus son Fils bien-aimé, en disant : « Écoutez-le » (v. 5). Cette parole est importante ! Notre Père qui a dit à ces apôtres, et qui nous dit aussi à nous : "Écoutez Jésus, car il est mon Fils bien aimé". Cette semaine, gardons cette parole dans l'esprit et dans le cœur : "Écoutez Jésus !". Ce n'est pas le pape qui le dit, c'est Dieu le Père qui le dit à tous : à moi, à vous, à tous, tous ! C'est comme une aide pour avancer sur la route du Carême. " Écoutez Jésus !". N’oubliez pas.

Cette invitation du Père est très importante. Nous, disciples de Jésus, nous sommes appelés à être des personnes qui écoutent sa voix et prennent au sérieux ses paroles. Pour écouter Jésus, il faut être proche de Lui, le suivre, comme le faisaient les foules de l’Évangile qui le poursuivaient sur les routes de la Palestine. Jésus n'avait pas de cathèdre ni de chaire fixes, mais c'était un maître itinérant, qui proposait ses enseignements, les enseignements que lui avait donné le Père, le long des routes, en parcourant des trajets qui n'étaient pas toujours prévisibles et parfois peu aisés. Suivre Jésus pour l'écouter. Mais écoutons aussi Jésus dans sa Parole écrite, dans l’Évangile. Je vous pose une question : est-ce que vous lisez tous les jours un passage de l’Évangile ? Oui, non…oui, non… Moitié moitié… Certains oui et certains non. Mais c'est important ! Lisez-vous l’Évangile ? C'est une bonne chose ; il est bon d'avoir un petit Évangile, petit, et de l'emporter avec nous, en poche, dans le sac, et d'en lire un petit passage à n'importe quel moment de la journée. À n'importe quel moment de la journée je prends dans ma poche l’Évangile et je lis un petit peu, un petit extrait. Jésus est là qui nous parle, dans l’Évangile ! Pensez à cela. Ce n'est pas difficile, ni nécessaire qu'il y ait les quatre : un des Évangiles, tout petit, avec nous. L’Évangile toujours avec nous, car il est la Parole de Jésus qui peut être écoutée.

De cet épisode de la Transfiguration je voudrais souligner deux éléments significatifs, que je synthétise en deux mots : montée et descente. Nous avons besoin d'aller à l'écart, de monter sur la montagne dans un espace de silence, pour nous trouver nous-mêmes et mieux percevoir la voix du Seigneur. Cela nous le faisons dans la prière. Mais nous ne pouvons pas rester là ! La rencontre avec Dieu dans la prière nous pousse à nouveau à "descendre de la montagne" et à retourner en bas, dans la plaine, où nous rencontrons tant de frères alourdis de peines, maladies, injustices, ignorances, pauvreté matérielle et spirituelle. A nos frères qui sont en difficulté, nous sommes appelés à apporter l'expérience que nous avons faite avec Dieu, en partageant la grâce reçue. C’est curieux. Quand nous entendons la Parole de Jésus, que nous écoutons la Parole de Jésus et que nous l'avons dans le coeur, cette Parole grandit. Savez-vous comment elle grandit ? En la donnant à l'autre ! La Parole du Christ grandit en nous quand nous la proclamons, quand nous la donnons aux autres ! Et c'est la vie chrétienne. C'est une mission pour toute l’Église, pour tous les baptisés, pour nous tous : écouter Jésus et l'offrir aux autres. N'oubliez pas : cette semaine, écoutez Jésus ! Et pensez à ce que [je vous ai dit] sur l’Évangile : vous le ferez ? Vous ferez cela ? Dimanche prochain vous me direz si vous l'avez fait : avoir un petit Évangile en poche ou dans le sac pour lire un petit passage dans la journée.

À présent tournons-nous vers notre Mère Marie, et confions nous à sa conduite pour poursuivre avec foi et générosité cet itinéraire du Carême, en apprenant un peu plus à "monter" et à écouter Jésus par la prière et à "descendre" avec la charité fraternelle, en annonçant Jésus.

dimanche 9 mars 2014

La Parole de Dieu nous sauvera

Paroles du pape avant la prière de l’Angélus

Chers frères et soeurs, bonjour !

L’Evangile du premier dimanche de carême présente chaque année l’épisode des tentations de Jésus, quand l’Esprit Saint, descendu sur lui après son baptême au Jourdain, le poussa à affronter Satan ouvertement, au désert, pendant quarante jours, avant de commencer sa mission publique.

Le tentateur chercher à détourner Jésus du dessein du Père, c’est-à-dire de la voie du sacrifice, de l’amour qui s’offre lui-même en expiation, pour lui faire prendre une route facile, de succès et de puissance. Le duel entre Jésus et Satan se déroule à coup de citations de l’Ecriture Sainte.

Le diable, en effet, pour détourner Jésus de la voie de la Croix, lui présente de fausses espérances messianiques : le bien-être économique, indiqué par la possibilité de transformer les pierres ne pain ; le style spectaculaire et « miraculeux », avec l’idée de se jeter du plus haut point du Temple de Jérusalem et de se faire sauver par les anges ; et enfin le raccourcis du pouvoir et de la domination, en échange d’un acte d’adoration à Satan. Ce sont les trois groupes de tentations : nous aussi nous les connaissons bien !

Jésus repousse avec décision toutes ces tentations et il redit sa ferme volonté de suivre la voie établie par le Père, sans aucune compromission avec le péché ni avec la logique du monde. Notez bien comme Jésus répond. Il ne dialogue pas avec Satan, comme Eve l’avait fait au paradis terrestre. Jésus sait bien qu’avec Satan on ne peut pas dialoguer, parce qu’il est tellement malin. C’est pourquoi, au lieu de dialoguer, comme Eve l’avait fait, il choisit de se réfugier dans la Parole de Dieu, et il répond avec la force de cette Parole. Souvenons-nous de cela : au moment de la tentation, de nos tentations, pas d’argumentation avec Satan, mais toujours se défendre avec la Parole de Dieu ! Et cela nous sauvera.

Dans ses réponses à Satan, le Seigneur, qui utilise la Parole de Dieu, nous rappelle avant tout que « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4; cf. Dt 8,3) ; et cela nous donne de la force, nous soutient dans la lutte contre la mentalité mondaine qui abaisse l’homme au niveau de ses besoins primaires et lui fait perdre la faim de ce qui est vrai, bon et beau, la faim de Dieu et de son amour.

Il rappelle « qu’il est aussi écrit : ‘Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu’ » (v.7), parce que la route de la foi passe aussi par l’obscurité, le doute, et elle se nourrit de patience et d’attente persévérante.

Enfin, Jésus rappelle « qu’il est écrit : ‘Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte’ » (v.10) ; autrement dit, nous devons nous défaire des idoles, des choses vaines, et construire notre vie sur l’essentiel.

Ces paroles de Jésus trouveront un écho concret dans ses actions. Sa fidélité absolue au dessein d’amour du Père le conduira, après environ trois ans, à la lutte finale avec les « prince de ce monde » (Jn 16, 11), à l’heure de la Passion et de la Croix, et là, Jésus remportera sa victoire définitive, la victoire de l’amour !

Chers frères, le temps du carême est pour nous tous une occasion propice pour accomplir un chemin de conversion, en nous confrontant sincèrement à cette page de l’Evangile.

Renouvelons les promesses de notre baptême : renonçons à Satan et à toutes ses œuvres et à toutes ses séductions – parce que lui, c’est est un séducteur – pour marcher sur les chemins de Dieu et « parvenir à Pâques dans la joie de l’Esprit » (Oraison pour la collecte du Ier dimanche de Carême, Année A).

jeudi 6 mars 2014

Nous sommes dans le temps de la miséricorde

Discours du Pape François aux prêtres du diocèse de Rome.

Lorsque, avec le cardinal-vicaire, nous avons pensé à cette rencontre, je lui ai dit que je pouvais faire pour vous une méditation sur le thème de la miséricorde. Au début du Carême, réfléchir ensemble en tant que prêtres, sur la miséricorde, nous fera du bien. Nous en avons tous besoin. Et les fidèles aussi, parce que, comme pasteurs, nous devons donner beaucoup de miséricorde, beaucoup !

Le passage de l’Évangile de Matthieu que nous avons écouté nous fait tourner le regard vers Jésus qui marche à travers les villes et les villages. Et cela est curieux. Quel est le lieu où Jésus se trouvait le plus souvent, où l’on pouvait le trouver le plus facilement ? Sur les routes. Il aurait pu passer pour un sans-abri, parce qu’il était toujours sur la route. La vie de Jésus était sur la route. Il nous invite surtout à saisir la profondeur de son cœur, ce qu’il ressent pour les foules, pour les gens qu’il rencontre : cette attitude intérieure de « compassion », en voyant les foules il en eut compassion. Parce qu’il voit les personnes « fatiguées et épuisées, comme des brebis sans berger ». Nous avons entendu si souvent ces paroles qu’elles n’entrent peut-être pas avec force. Mais elles sont fortes ! Un peu comme de nombreuses personnes que vous rencontrez aujourd’hui dans les rues de vos quartiers… Et puis l’horizon s’élargit et nous voyons que ces villes et ces villages sont non seulement Rome et l’Italie, mais le monde… et ces foules épuisées sont les populations de tant de pays qui souffrent des situations encore plus difficiles…

Alors, nous comprenons que nous ne sommes pas ici pour faire un bel exercice spirituel au début du Carême, mais pour écouter la voix de l’Esprit qui parle à toute l’Église de notre temps, qui est précisément le temps de la miséricorde. Cela, j’en suis sûr. Ce n’est pas seulement le Carême ; nous vivons dans un temps de miséricorde, depuis au moins trente ans, jusqu’à aujourd’hui.

Dans toute l’Église, c’est le temps de la miséricorde.

Cela a été une intuition du bienheureux Jean-Paul II. Il a eu le « flair » de sentir que nous sommes dans le temps de la miséricorde. Pensons à la béatification et à la canonisation de sœur Faustine Kowalska ; ensuite, il a introduit la fête de la Divine miséricorde. Il a avancé peu à peu, et il a continué d’avancer dans ce sens.

Dans son homélie pour la canonisation, qui eut lieu en l’an 2000, Jean-Paul II a souligné que le message de Jésus Christ à sœur Faustine se situe dans le temps entre les deux guerres mondiales, et qu’il est profondément lié à l’histoire du vingtième siècle. Et en regardant l’avenir, il disait : « Que nous apporteront les années qui s’ouvrent à nous ? Quel sera l’avenir de l’homme sur la terre ? Nous ne pouvons pas le savoir. Il est toutefois certain qu’à côté de nouveaux progrès ne manqueront pas, malheureusement, les expériences douloureuses. Mais la lumière de la miséricorde divine, que le Seigneur a presque voulu remettre au monde à travers le charisme de sœur Faustine, illuminera le chemin des hommes du troisième millénaire ». C’est clair. Cela était explicite, en 2000, mais c’est quelque chose qui mûrissait depuis longtemps dans son cœur. Dans sa prière, il a eu cette intuition.

Aujourd’hui, nous oublions tout trop vite, même le magistère de l’Église ! C’est en partie inévitable, mais les grands contenus, les grandes intuitions et les consignes laissées au peuple de Dieu, nous ne pouvons pas les oublier. Et celle de la miséricorde divine en fait partie. C’est une consigne qu’il nous a laissée, mais qui vient d’en-haut. C’est à nous, en tant que ministres de l’Église, de garder ce message vivant, surtout dans la prédication et dans les gestes, dans les signes, dans les choix pastoraux, par exemple, le choix de redonner la priorité au sacrement de la Réconciliation, et dans le même temps, aux œuvres de miséricorde. Réconcilier, faire la paix à travers le sacrement et aussi par les paroles et par les œuvres de miséricorde.

Que signifie la miséricorde pour les prêtres ?

Il me vient à l’esprit que certains d’entre vous m’ont téléphoné, m’ont écrit une lettre, et ensuite j’ai parlé au téléphone… « Mais, Père, pourquoi en voulez-vous aux prêtres ? ». Parce qu’ils disaient que je malmène les prêtres. Je ne veux pas malmener ici…

Demandons-nous ce que signifie la miséricorde pour un prêtre, permettez-moi de dire pour nous, prêtres. Pour nous, pour nous tous ! Les prêtres s’émeuvent devant les brebis, comme Jésus lorsqu’il voyait les gens fatigués et épuisés comme des brebis sans berger. Jésus a les « entrailles » de Dieu, Isaïe en parle beaucoup : il est plein de tendresse pour les personnes, surtout pour celles qui sont exclues, c’est-à-dire pour les pécheurs, pour les malades dont personne ne s’occupe… Ainsi, à l’image du Bon Pasteur, le prêtre est un homme de miséricorde et de compassion, proche de son peuple et serviteur de tous. C’est un critère pastoral que je voudrais vraiment souligner : la proximité. La proximité et le service, mais la proximité, être proche !... Quiconque est blessé dans sa vie, de quelque façon que ce soit, peut trouver chez lui attention et écoute… En particulier, le prêtre manifeste des entrailles de miséricorde lorsqu’il administre le sacrement de la Réconciliation ; il le manifeste dans tout son comportement, dans sa manière d’accueillir, de conseiller, de donner l’absolution… Mais cela vient de la manière dont lui-même vit le sacrement en personne, de la manière dont il se laisse embrasser par Dieu le Père dans la confession et dont il reste dans ses bras… Si l’on vit cela en soi-même, dans son cœur, on peut le donner aux autres dans le ministère. Et je vous pose cette question : Comment est-ce que je me confesse ? Est-ce que je me laisse embrasser ? Il me vient à l’esprit un grand prêtre de Buenos Aires, il est plus jeune que moi, il doit avoir 72 ans… Un jour, il est venu me voir. C’est un grand confesseur : il y a toujours la queue pour le voir... Les prêtres, la majorité, vont le voir pour se confesser... C’est un grand confesseur. Et un jour, il est venu me voir : « Mais, Père… », « Dis-moi », « J’ai des scrupules, parce que je sais que je pardonne trop ! »; « Prie… si tu pardonnes trop… ». Et nous avons parlé de la miséricorde. À un moment, il m’a dit : « Tu sais, quand je sens que ce scrupule est trop fort, je vais dans la chapelle, devant le tabernacle, et je Lui dis : “Excuse-moi, mais c’est de ta faute, parce que tu m’as donné le mauvais exemple !” Et je repars tranquille… ». C’est une belle prière de miséricorde ! Si dans la Confession, l’on vit cela pour soi, dans son cœur, on peut aussi le donner aux autres.


Le prêtre est appelé à apprendre cela, à avoir un cœur qui s’émeut. Les prêtres — je me permets ce terme — « aseptisés », ceux « de laboratoire », tout propres, tout beaux, n’aident pas l’Église. L’Église d’aujourd’hui, nous pouvons l’imaginer comme un « hôpital de campagne ». Excusez-moi, je répète cela parce que je le vois comme cela, je le sens comme cela : un « hôpital de campagne ». Il faut soigner les blessures, tant de blessures ! Tant de blessures ! Il y a tant de personnes blessées par les problèmes matériels, par les scandales, même dans l’Église… Des personnes blessées par les illusions du monde… Nous, les prêtres, nous devons être là, auprès de ces personnes. La miséricorde signifie avant tout soigner les blessures. Quand quelqu’un est blessé, il a immédiatement besoin de cela, non pas d’analyses, comme le taux de cholestérol, de glycémie… Mais il y a la blessure, soigne la blessure, et après on verra les analyses. Après, on donnera les soins spécialisés, mais d’abord, il faut soigner les blessures ouvertes. Pour moi, en ce moment, c’est cela le plus important. Et il existe aussi des blessures cachées, parce qu’il y a des personnes qui s’éloignent pour ne pas montrer leurs blessures… Il me vient à l’esprit l’habitude, pour la loi mosaïque, des lépreux au temps de Jésus, qui étaient toujours éloignés, pour ne pas contaminer… Il y a des personnes qui s’éloignent par honte, parce qu’elles ont honte qu’on voie leurs blessures… Et elles s’éloignent peut-être un peu en regardant de travers, contre l’Église, mais au fond, à l’intérieur, il y a la blessure… Elles veulent une caresse ! Et vous, chers confrères — je vous le demande — connaissez-vous les blessures de vos paroissiens ? Est-ce que vous les devinez ? Est-ce que vous êtes proches d’eux ? C’est la seule question…

La miséricorde ne signifie ni indulgence, ni rigidité.

Revenons au sacrement de la réconciliation. Il nous arrive souvent, à nous prêtres, d’entendre l’expérience de nos fidèles qui nous racontent avoir rencontré, dans la confession, un prêtre très « strict » ou au contraire très « large », rigoriste ou laxiste. Et cela ne va pas. Il est normal qu’il y ait des différences de style entre les confesseurs, mais ces différences ne peuvent pas concerner la substance, c’est-à-dire la saine doctrine morale et la miséricorde. Ni le laxiste ni le rigoriste, ne rendent témoignage de Jésus Christ, parce que ni l’un ni l’autre ne prend sur lui la personne qu’il rencontre. Le rigoriste se lave les mains : en effet, il la cloue à la loi, entendue de manière froide et rigide ; le laxiste, lui, se lave les mains : il n’est miséricordieux qu’en apparence, mais en réalité, il ne prend pas au sérieux le problème de cette conscience, en minimisant le péché. La véritable miséricorde prend sur elle la personne, l’écoute attentivement, s’approche avec respect et vérité de la situation, et l’accompagne sur le chemin de la réconciliation. Et cela est fatigant, oui, bien sûr. Le prêtre vraiment miséricordieux se comporte comme le Bon Samaritain… mais pourquoi le fait-il ? Parce que son cœur est capable de compassion, c’est le cœur du Christ !

Nous savons bien que ni le laxisme ni le rigorisme ne font croître la sainteté. Peut-être que certains rigoristes semblent saints, saints… Mais pensez à Pélage et ensuite nous en reparlerons… Ni le laxisme, ni le rigorisme ne sanctifient le prêtre, et ils ne sanctifient pas le fidèle ! La miséricorde, en revanche, accompagne le chemin de la sainteté, l’accompagne et la fait croître... Trop de travail pour un curé ? C’est vrai, trop de travail! Et de quelle manière accompagne-t-il et fait-il croître le chemin de la sainteté ? À travers la souffrance pastorale, qui est une forme de la miséricorde. Que signifie souffrance pastorale ? Cela veut dire souffrir pour et avec les personnes. Et cela n’est pas facile ! Souffrir comme un père et une mère souffrent pour leurs enfants ; je me permets de dire, avec angoisse aussi…

Pour m’expliquer, je vais vous poser quelques questions à vous aussi, qui m’aident lorsqu’un prêtre vient me voir. Elles m’aident aussi lorsque je suis seul devant le Seigneur !

Dis-moi : Est-ce que tu pleures ? Ou bien avons-nous perdu nos larmes ? Je me souviens que dans les anciens missels, ceux d’autrefois, il y a une très belle prière pour demander le don des larmes. La prière commençait ainsi : « Seigneur, tu as donné à Moïse le mandat de frapper la pierre pour que sorte l’eau, frappe la pierre de mon cœur pour que les larmes… » : la prière disait plus ou moins cela. Elle était très belle. Mais combien d’entre nous pleurent devant la souffrance d’un enfant, devant la destruction d’une famille, devant tant de personnes qui ne trouvent pas le chemin ?... Les larmes du prêtre… Est-ce que tu pleures ? Ou bien avons-nous perdu nos larmes dans ce presbyteriumEst-ce que tu pleures pour ton peuple ? Dis-moi, est-ce que tu prononces la prière d’intercession devant le tabernacle ?

Est-ce que tu luttes avec le Seigneur pour ton peuple, comme Abraham a lutté ? « Et s’il y en avait moins ? Peut-être n’y en aura-t-il que 25 ? Peut-être n’y en aura-t-il que 20 ?... » (cf. Gn 18, 22-33). Cette courageuse prière d’intercession… Nous parlons de parresia, de courage apostolique, et nous pensons aux programmes pastoraux, c’est bien, mais cette parresia est nécessaire également dans la prière. Est-ce que tu luttes avec le Seigneur ? Est-ce que tu discutes avec le Seigneur comme l’a fait Moïse ? Quand le Seigneur en avait assez, quand il était fatigué de son peuple et qu’il lui a dit : « Sois tranquille… je les détruirai tous et je te ferai chef d’un autre peuple ». « Non, non ! Si tu détruis le peuple, détruis-moi aussi ! » Mais eux, ils avaient du courage ! Et je vous pose la question : Est-ce que nous avons le courage de lutter avec Dieu pour notre peuple ?

Une autre question que je pose : le soir, comment est-ce que tu conclus ta journée ? Avec le Seigneur ou avec la télévision ? Quel est ton rapport avec ceux qui aident à être plus miséricordieux ? C’est-à-dire, quel est ton rapport avec les enfants, avec les personnes âgées, avec les malades ? Est-ce que tu sais leur donner une caresse, ou est-ce que tu as honte de donner une caresse à une personne âgée ?

N’aie pas honte de la chair de ton frère (cf. Reflexiones en esperanza, ch. i). À la fin, nous serons jugés sur la façon dont nous aurons su nous approcher de « toute chair » — c’est Isaïe qui le dit. N’aie pas honte de la chair de ton frère. « Nous faire proches » : la proximité, se faire proche de la chair de son frère. Le prêtre et le lévite qui passèrent avant le Bon Samaritain n’ont pas su s’approcher de cette personne malmenée par les bandits. Leur cœur était fermé. Peut-être le prêtre a-t-il regardé sa montre et a-t-il dit : « Il faut que j’aille à la messe, je ne peux pas arriver en retard à la messe » et il est parti. Justifications ! Combien de fois trouvons-nous des justifications pour contourner le problème, la personne. L’autre, le lévite, ou le docteur de la loi, l’avocat, a dit : « Non, je ne peux pas parce que si je fais ça, demain, je devrai aller témoigner, je vais perdre du temps… ». Les excuses !... Ils avaient le cœur fermé. Mais le cœur fermé se justifie toujours de ce qu’il ne fait pas. Au contraire, ce Samaritain ouvre son cœur, se laisse émouvoir dans ses entrailles et ce mouvement intérieur se traduit en action pratique, dans une intervention concrète et efficace pour aider cette personne. À la fin des temps, ne sera admis à contempler la chair crucifiée du Christ que celui qui n’aura pas eu honte de la chair de son frère blessé et exclu. Je vous confesse, cela me fait du bien, parfois, de lire la liste sur laquelle je serai jugé, cela me fait du bien : c’est dans Matthieu 25.

Ce sont ces choses qui me sont venues à l’esprit, pour les partager avec vous. Elles sont un peu spontanées, comme elles me sont venues… [Le cardinal Vallini : « Un bel examen de conscience »]. Cela nous fera du bien. [applaudissements].

À Buenos Aires — je parle d’un autre prêtre — il y avait un confesseur célèbre : c’était un prêtre du Saint-Sacrement. Presque tout le clergé se confessait à lui. Quand, l’une des deux fois où il est venu, Jean-Paul II a demandé un confesseur à la nonciature, c’est lui qui y est allé. Il est âgé, très âgé… Il a été provincial de son Ordre, professeur... mais toujours confesseur, toujours. Et il y avait toujours la queue, dans l’église du Saint-Sacrement. À cette époque, j’étais vicaire général et j’habitais à la curie et tous les matins, tôt, je descendais au fax pour voir s’il y avait quelque chose. Et le matin de Pâques, j’ai lu un fax du supérieur de la communauté: « Hier, une demi-heure avant la Veillée pascale, le père Aristi est mort, à 94 — ou était-ce 96 ? — ans. Les funérailles seront célébrées tel jour… » Et le matin de Pâques, je devais aller déjeuner avec les prêtres de la maison de retraite — je le faisais en général à Pâques — et puis — je me suis dit — après le repas, j’irai à l’église. C’était une grande église, très grande, avec une très belle crypte. Je suis descendu dans la crypte et il y avait le cercueil, et seulement deux petites vieilles qui priaient là, mais pas de fleurs. J’ai pensé : mais cet homme, qui a pardonné les péchés de tout le clergé de Buenos Aires, et les miens aussi, même pas une fleur… Je suis remonté et je suis allé chez un fleuriste — parce qu’à Buenos Aires, aux croisements des rues, il y a des fleuristes, dans les rues où il y a du monde — et j’ai acheté des fleurs, des roses… Et je suis revenu et j’ai commencé à bien arranger le cercueil avec les fleurs… Et j’ai regardé le chapelet qu’il avait entre ses mains… Et aussitôt il m’est venu à l’esprit — ce voleur qui est en chacun de nous, non ? — et pendant que j’arrangeais les fleurs, j’ai pris la croix du chapelet et, en forçant un peu, je l’ai détachée. Et à ce moment, je l’ai regardé et j’ai dit : « Donne-moi la moitié de ta miséricorde ». J’ai senti quelque chose de fort qui m’a donné le courage de faire cela et de faire cette prière ! Et puis, cette croix, je l’ai mise ici, dans ma poche. Les soutanes du Pape n’ont pas de poches, mais je porte toujours sur moi une petite pochette en tissu et depuis ce jour-là, jusqu’à aujourd’hui, cette croix est avec moi. Et lorsqu’il me vient une pensée mauvaise contre quelqu’un, ma main se pose toujours ici. Et je sens la grâce ! Je sens que cela me fait du bien. Que de bienfait l’exemple d’un prêtre miséricordieux, d’un prêtre qui s’approche des blessures…

Si vous réfléchissez, vous en avez sûrement connus beaucoup, beaucoup, parce que les prêtres d’Italie sont bons ! Ils sont bons. Je crois que si l’Italie est encore si forte, ce n’est pas tant à cause de nous, les évêques, mais grâce aux curés, aux prêtres ! C’est vrai, c’est vrai ! Ce n’est pas pour vous encenser et vous réconforter, c’est ce que je pense.

La miséricorde. Pensez à tous les prêtres qui sont au ciel et demandez cette grâce ! Qu’ils vous donnent cette miséricorde qu’ils ont eue avec leurs fidèles. Et cela fait du bien.

Merci beaucoup de m’avoir écouté et d’être venus ici.

mercredi 5 mars 2014

Le carême nous sort de nos habitudes lasses et de l'accoutumance paresseuse au mal

Audience Générale du Pape François.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, mercredi des Cendres, commence l’itinéraire du Carême de quarante jours qui nous conduira au Triduum pascal, mémoire de la Passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, cœur du mystère de notre Salut. Le Carême nous prépare à ce moment si important, c’est pourquoi c’est un temps « fort », un tournant qui peut favoriser en chacun de nous le changement, la conversion. Nous avons tous besoin de nous améliorer, de changer en mieux. Le carême nous y aide et ainsi, nous sortons de nos habitudes lasses et de cette accoutumance paresseuse au mal qui est un piège. Pendant le temps du Carême, l’Église nous adresse deux invitations importantes : acquérir une conscience plus vive de l’œuvre rédemptrice du Christ ; vivre notre baptême de manière plus engagée.

La conscience des merveilles que le Seigneur a faites pour notre Salut dispose notre esprit et notre cœur à une attitude de gratitude envers Dieu, pour ce qu’il nous a donné, pour tout ce qu’il accomplit en faveur de son peuple et de toute l’humanité. C’est le point de départ de notre conversion qui est la réponse reconnaissante au mystère extraordinaire de l’amour de Dieu. Quand nous voyons cet amour que Dieu a pour nous, nous éprouvons le désir de nous approcher de lui : c’est cela la conversion.

Vivre pleinement notre baptême – c’est la seconde invitation – signifie ne pas nous habituer aux situations de dégradation et de misère que nous rencontrons lorsque nous marchons dans les rues de nos villes et de nos pays. Il y a un risque d’accepter passivement certains comportements et de ne pas nous étonner face aux tristes réalités qui nous entourent. Nous nous habituons à la violence, comme si c’était une nouvelle quotidienne normale ; nous nous habituons à voir des frères et sœurs dormir dans la rue, qui n’ont pas de toit pour se mettre à l’abri. Nous nous habituons aux réfugiés en quête de liberté et de dignité, qui ne sont pas accueillis comme ils le devraient. Nous nous habituons à vivre dans une société qui prétend se passer de Dieu, dans laquelle les parents n’enseignent plus à leurs enfants à prier ni à faire le signe de croix. Je vous pose la question : vos enfants, vos jeunes enfants savent-ils faire le signe de croix ? Réfléchissez. Vos petits-enfants savent-ils faire le signe de croix ? Vous le leur avez enseigné ? Réfléchissez et répondez dans votre cœur. Ils savent prier le Notre Père ? Ils savent prier la Vierge Marie avec le Je vous salue Marie ? Réfléchissez-y et répondez. Cette accoutumance à des comportements non chrétiens par facilité nous anesthésie le cœur !

Le carême nous rejoint comme un temps providentiel pour changer de route, pour récupérer notre capacité à réagir face à la réalité du mal qui nous lance toujours un défi. Le carême doit se vivre comme un temps de conversion, de renouvellement personnel et communautaire en nous approchant de Dieu et avec une adhésion confiante à l’Évangile. De cette façon, il nous permet aussi de regarder nos frères et leurs besoins avec un regard neuf. C’est pour cela que le carême est un moment favorable pour nous convertir à l’amour de Dieu et de notre prochain ; un amour qui sache faire sienne l’attitude de gratuité et de miséricorde du Seigneur, qui « s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (cf. 2 Co 8,9). En méditant les mystères centraux de la foi, la Passion, la Croix et la résurrection du Christ, nous nous rendrons compte que le don sans mesure de la Rédemption nous a été donné par une initiative gratuite de Dieu.

Action de grâce envers Dieu pour le mystère de son amour crucifié ; foi authentique, conversion et ouverture du cœur à nos frères : voilà les éléments essentiels pour vivre le temps du carême. Sur ce chemin, nous voulons invoquer avec une confiance particulière la protection et l’aide de la Vierge Marie : que ce soit elle, la première croyante dans le Christ, qui nous accompagne dans ces jours de prière intense et de pénitence, pour parvenir à célébrer, purifiés et renouvelés dans l’esprit, le grand mystère de la Pâque de son fils. Merci !

La valeur de la vie dépend de ce que nous avons à l’intérieur

Homélie du Pape François prononcée à la Messe du Mercredi des Cendres.

« Déchirez votre cœur, et non vos vêtements » (Jl 2, 13).


Avec ces paroles pénétrantes du prophète Joël, la liturgie nous introduit aujourd’hui dans le Carême, en indiquant dans la conversion du cœur la caractéristique de ce temps de grâce. L’appel prophétique constitue un défi pour nous tous, sans exclure personne, et nous rappelle que la conversion ne se réduit pas à des formes extérieures ou à de vagues intentions, mais touche et transforme l’existence tout entière à partir du centre de la personne, de la conscience. Nous sommes invités à entreprendre un chemin sur lequel, défiant la routine, nous nous efforçons d’ouvrir les yeux et les oreilles, mais surtout d’ouvrir le cœur, pour aller au-delà de notre « petit jardin ».

S’ouvrir à Dieu et aux frères. Nous savons que nous vivons cela dans un monde toujours plus artificiel, qui nous fait vivre dans une culture du « faire », de l’ « utile », où sans nous en rendre compte, nous excluons Dieu de notre horizon. Mais nous excluons également l’horizon lui-même ! Le Carême nous invite à nous « réveiller », à nous rappeler que nous sommes des créatures, que nous ne sommes tout simplement pas Dieu. Lorsque je vois dans mon petit milieu quotidien, certaines luttes de pouvoir pour occuper des espaces, je pense : ces gens jouent au Dieu créateur. Ils n’ont pas encore réalisé qu’ils ne sont pas Dieu.

Et nous risquons de nous fermer également à l’égard des autres, de les oublier. Mais ce n’est que lorsque les difficultés et les souffrances de nos frères nous interpellent, ce n’est qu’alors que nous pouvons commencer notre chemin de conversion vers Pâques. Il s’agit d’un itinéraire qui comporte la croix et le renoncement. L’Évangile d’aujourd’hui indique les éléments de ce chemin spirituel : la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6, 1-6.16-18). Tous les trois comportent la nécessité de ne pas se faire dominer par les choses qui apparaissent : ce qui compte n’est pas l’apparence ; la valeur de la vie ne dépend pas de l’approbation des autres ou du succès, mais de ce que nous avons à l’intérieur.

Le premier élément est la prière. La prière est la force du chrétien et de toute personne croyante. Dans la faiblesse et dans la fragilité de notre vie, nous pouvons nous adresser à Dieu avec une confiance de fils et entrer en communion avec Lui. Face à tant de blessures qui nous font mal et qui pourraient endurcir notre cœur, nous sommes appelés à plonger dans la mer de la prière, qui est la mer de l’amour infini de Dieu, pour goûter sa tendresse. Le Carême est un temps de prière, de prière plus intense, plus prolongée, plus assidue, plus capable de se charger des nécessités de nos frères ; une prière d’intercession, pour intercéder devant Dieu pour les nombreuses situations de pauvreté et de souffrance.

Le deuxième élément qui distingue le chemin quadragésimal est le jeûne. Nous devons être attentifs à ne pas pratiquer un jeûne formel, ou qui en vérité nous « rassasie » car il nous fait sentir en règle. Le jeûne a un sens s’il touche vraiment notre sécurité, et également s’il en ressort un bénéfice pour les autres, s’il nous aide à cultiver le style du Bon Samaritain, qui se penche sur son frère en difficulté et prend soin de lui. Le jeûne comporte le choix d’une vie sobre, dans son style ; une vie qui ne gaspille pas, une vie qui ne « met pas au rebut ». Jeûner nous aide à entraîner notre cœur à l’essentiel et au partage. C’est un signe de prise de conscience et de responsabilité face aux injustices, aux abus, en particulier à l’égard des pauvres et des petits, et c’est le signe de la confiance que nous plaçons en Dieu et dans sa Providence.

Le troisième élément est l’aumône : celle-ci indique la gratuité, car dans l’aumône on donne à quelqu’un dont on n’attend pas de recevoir quelque chose en échange. La gratuité devrait être l’une des caractéristiques du chrétien, qui, conscient d’avoir tout reçu de Dieu gratuitement, c’est-à-dire sans aucun mérite, apprend à donner aux autres gratuitement. Aujourd’hui, souvent, la gratuité ne fait pas partie de la vie quotidienne, où tout se vend et s’achète. Tout est calcul et mesure. L’aumône nous aide à vivre la gratuité du don, qui est la libération de l’obsession de la possession, de la peur de perdre ce que l’on a, de la tristesse de celui qui ne veut pas partager avec les autres son propre bien-être.

Avec ses invitations à la conversion, le Carême vient de manière providentielle nous réveiller, nous secouer de notre torpeur, du risque d’aller de l’avant par inertie. L’exhortation que le Seigneur nous adresse à travers le prophète Joël est puissante et claire : « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Pourquoi devons-nous revenir à Dieu ? Parce que quelque chose ne va pas bien en nous, ne va pas bien dans la société, dans l’Église et que nous avons besoin de changer, de prendre un tournant. Et cela s’appelle avoir besoin de nous convertir ! Encore une fois, le Carême vient nous adresser son appel prophétique, pour nous rappeler qu’il est possible de réaliser quelque chose de nouveau en nous-mêmes et autour de nous, simplement parce que Dieu est fidèle, il est toujours fidèle, car il ne peut pas se renier lui-même, il continue à être riche de bonté et de miséricorde, et il est toujours prêt à pardonner et à recommencer depuis le début. Avec cette confiance filiale, mettons-nous en chemin !

dimanche 2 mars 2014

La sécurité définitive est en Dieu

Paroles du pape François avant l’angélus

Chers frères et sœurs, bonjour !

Au centre de la Liturgie de ce dimanche nous trouvons une des vérités les plus réconfortantes : la divine Providence. Le prophète Isaïe la présente avec l’image de l’amour maternel plein de tendresse, et il dit ainsi : « Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas. » (49,15). Comme cela est beau ! Dieu ne nous oublie pas, il n’oublie personne d’entre nous ! Il n’oublie personne d’entre nous, ni son nom, ni son prénom. Il nous aime et ne nous oublie pas. Quelle belle perspective… cette invitation à la confiance en Dieu trouve un parallèle dans l’extrait de l’Evangile de Matthieu : « Regardez les oiseaux du ciel – dit Jésus –: ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit… Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'était pas habillé comme l'un d'eux. » (Mt 6,26.28-29).

Mais en pensant à toutes les personnes qui vivent dans des conditions précaires, ou carrément dans une misère qui offense leur dignité, ces paroles de Jésus pourraient sembler abstraites, sinon trompeuses. Mais en réalité elles sont plus que jamais actuelles ! Elles nous rappellent qu’on ne peut servir deux maîtres : Dieu et la richesse. Tant que chacun cherchera à accumuler pour soi, il n’y aura jamais de justice. Nous devons bien entendre ceci. Tant que chacun cherchera à accumuler pour soi, il n’y aura jamais de justice. Si au contraire, en se confiant à la Providence de Dieu, nous cherchons ensemble son Royaume, alors personne ne manquera du nécessaire pour vivre dignement.

Un coeur occupé par la soif de posséder est un coeur plein de cette soif de posséder, mais vide de Dieu. C’est pour cela que Jésus a averti plusieurs fois les riches, car pour eux le risque de remettre leur sécurité dans les biens de ce monde est grand. Or la sécurité, la sécurité définitive, est en Dieu. Dans un cœur possédé par les richesses, il n’y a plus beaucoup de place pour la foi : tout est occupé par les richesses, il n’y a pas de place pour la foi. Si au contraire on laisse à Dieu la place qui lui revient, c’est-à-dire la première, alors son amour conduit à partager aussi les richesses, à les mettre au service de projets de solidarité et de développement, comme le montrent tant d’exemples, même récents, dans l’histoire de l’Eglise. Et ainsi la Providence de Dieu passe à travers notre service aux autres, notre partage avec les autres. Lorsqu'on n’accumule pas les richesses seulement pour soi mais qu'on les met au service des autres, alors la Providence de Dieu se rend visible dans ce geste de solidarité. Si au contraire quelqu’un accumule seulement pour lui, que lui arrivera-t-il quand il sera appelé par Dieu ? Il ne pourra pas emporter les richesses avec lui, car – vous le savez – le linceul n’a pas de poches ! Il est mieux de partager, car au Ciel, nous n’apportons que ce que nous avons partagé avec les autres.

La route que Jésus indique peut sembler peu réaliste étant donné la mentalité générale et les problèmes de la crise économique ; mais, si l’on y pense bien, elle nous reporte à la juste échelle des valeurs. Il dit : « La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? » (Mt 6,25). Afin que personne ne vienne à manquer de pain, d’eau, de vêtement, maison, travail ou santé, il faut que tous nous nous reconnaissions enfants du Père qui est dans les cieux et donc frères entre nous, et que nous nous comportions en conséquence. Je l’ai rappelé dans le Message pour la Paix du 1er janvier : la route vers la paix est la fraternité ; cheminer ensemble, partager les choses ensemble.

A la lumière de la Parole de Dieu de ce dimanche, invoquons la Vierge Marie comme Mère de la divine Providence. Confions lui notre existence, le chemin de l’Eglise et de l’humanité. En particulier, invoquons son intercession afin que tous nous nous efforcions de vivre dans un style simple et sobre, avec le regard attentif aux besoins des frères les plus nécessiteux.

Paroles du pape après l’angélus (en italien)

Chers frères et soeurs,

[...] Cette semaine nous allons commencer le Carême, qui est le chemin du Peuple de Dieu vers Pâques, un chemin de conversion, de lutte contre le mal avec les armes de la prière, du jeûne, de la miséricorde. L’humanité a besoin de justice, de réconciliation, de paix, et elle ne pourra les trouver qu’en se tournant de tout son cœur vers Dieu, qui en est la source. Nous tous aussi, avons besoin du pardon de Dieu. Entrons dans le Carême avec un esprit d’adoration envers Dieu et de solidarité fraternelle avec ceux qui, en cette période, sont plus éprouvés par l’indigence et par de violents conflits.

Je vous souhaite à tous un bon dimanche et un bon appétit. Au revoir !

jeudi 27 février 2014

L’évêque est avant tout un martyre du Ressuscité

Discours du Pape François à la réunion de la Congrégation pour les évêques.

1. L’essentiel de la mission de la Congrégation
Dans la célébration d’ordination d’un évêque, l’Église réunie, après l’invocation du Saint-Esprit, demande que soit ordonné le candidat présenté. Celui qui préside demande à ce moment-là : « Avez-vous le mandat ? ». Dans cette question résonne ce que fit le Seigneur : « Il appella à lui les Douze et il se mit à les envoyer en mission deux à deux... » (Mc 6, 7). Au fond, la question pourrait s’exprimer aussi ainsi : « Êtes-vous certains que son nom a été prononcé par le Seigneur ? Êtes-vous certains que c’est le Seigneur qui l’a compté au nombre des appelés à être avec Lui de façon singulière et pour lui confier la mission qui n’est pas la sienne, mais qui a été confiée au Seigneur par le Père ? ».
Cette Congrégation existe pour aider à écrire ce mandat, qui résonnera ensuite dans un grand nombre d’Églises et apportera la joie et l’espérance au saint peuple de Dieu. Cette Congrégation existe pour s’assurer que le nom de celui qui est choisi a été tout d’abord prononcé par le Seigneur. Voilà la grande mission confiée à la Congrégation pour les évêques, sa tâche la plus exigeante : identifier ceux que l’Esprit Saint lui-même place à la tête de son Église.
Des lèvres de l’Église parviendra en tout temps et en tout lieu la demande : donne-nous un évêque ! Le saint peuple de Dieu continue de parler : nous avons besoin de quelqu’un qui nous surveille d’en haut ; nous avons besoin de quelqu’un qui nous regarde avec l’ampleur du cœur de Dieu ; nous n’avons pas besoin d’un manager, d’un administrateur délégué d’une entreprise, ni de quelqu’un qui soit au niveau de nos petitesses ou de nos menues prétentions. Nous avons besoin de quelqu’un qui sache s’élever à la hauteur du regard de Dieu sur nous pour nous guider vers Lui. C’est uniquement dans le regard de Dieu qu’il y a un avenir pour nous. Nous avons besoin de qui, connaissant l’ampleur du champ de Dieu plus que l’étroitesse de son propre jardin, nous garantisse que ce à quoi aspirent nos cœurs n’est pas une vaine promesse.
Les personnes parcourent avec peine la plaine du quotidien, et elles ont besoin d’être guidées par qui est capable de voir les choses d’en haut. C’est pourquoi, nous ne devons pas perdre de vue les nécessités des Églises particulières auxquelles nous devons répondre. Il n’existe pas un pasteur standard pour toutes les Églises. Le Christ connaît la singularité du pasteur que toute Église requiert pour qu’il réponde à ses besoins et l’aide à réaliser ses potentialités. Notre défi est d’entrer dans la perspective du Christ, en tenant compte de cette singularité des Églises particulières.
2. L’horizon de Dieu détermine la mission de la Congrégation
Pour choisir ces ministres, nous avons tous besoin de nous élever, de monter nous aussi au « niveau supérieur ». Nous ne pouvons pas manquer de monter, nous ne pouvons pas nous contenter de mesures basses. Nous devons nous élever au-delà et au-dessus de nos éventuelles préférences, sympathies, appartenances ou tendances pour entrer dans l’ampleur de l’horizon de Dieu et pour trouver ceux qui portent son regard d’en haut. Pas des hommes conditionnés par la peur d’en bas, mais des pasteurs dotés de parresia, capables d’assurer qu’il y a dans le monde un sacrement d’unité (Const. Lumen gentium, n. 1) et donc que l’humanité n’est pas destinée à la dérive et à l’égarement.
Tel est le grand objectif, dessiné par l’Esprit, qui détermine la manière dont se déroule cette tâche généreuse et exigeante, pour laquelle je suis immensément reconnaissant à chacun de vous, à commencer par le cardinal-préfet Marc Ouellet et en vous embrassant tous, cardinaux, archevêques et évêques membres. Je voudrais également adresser une parole spéciale de reconnaissance, pour la générosité de leur travail, aux officiaux de ce dicastère, qui silencieusement et patiemment contribuent à la réussite du service de pourvoir l’Église des pasteurs dont elle a besoin.
En signant la nomination de chaque évêque, je voudrais pouvoir toucher l’autorité morale de votre discernement et la grandeur des horizons avec laquelle mûrit votre conseil. Pour cela, l’esprit qui préside vos travaux, de la tâche ardue des officiaux jusqu’au discernement des supérieurs et membres de la Congrégation, ne pourra être que cet humble, silencieux et laborieux processus exercé sous la lumière qui vient d’en haut. Professionnalisme, service et sainteté de vie : si nous nous éloignons de ce trinôme, nous nous trouvons déchus de la grandeur à laquelle nous sommes appelés.
3. L’Église apostolique comme source
Alors où trouver cette lumière ? La hauteur de l’Église se trouve toujours dans les profondeurs de ses fondements. Dans l’Église apostolique, il y a ce qui est haut et profond. L’avenir de l’Église habite toujours dans ses origines.
C’est pourquoi je vous invite à faire mémoire et à « visiter » l’Église apostolique pour y chercher certains critères. Nous savons que le collège épiscopal, dans lequel seront insérés les évêques à travers le sacrement, succède au collège apostolique. Le monde a besoin de savoir qu’existe cette succession ininterrompue. Dans l’Église tout au moins, ce lien avec l’arché divine ne s’est pas rompu. Les personnes connaissent déjà la souffrance de tant de ruptures : elles ont besoin de trouver dans l’Église cette permanence indélébile de la grâce du commencement.
4. L’évêque comme témoin du Ressuscité
Examinons par conséquent le moment où l’Église apostolique doit recomposer le collège des Douze après la trahison de Judas. Sans les Douze, la plénitude de l’Esprit ne peut pas descendre. Le successeur doit être cherché parmi ceux qui ont suivi depuis le début le parcours de Jésus et peut à présent devenir « avec les douze » un « témoin de la résurrection » (cf. Ac 1, 21-22). Il faut sélectionner parmi les disciples de Jésus les témoins du Ressuscité.
De là dérive le critère essentiel pour esquisser le visage des évêques que nous voulons avoir. Qui est un témoin du Ressuscité ? C’est quelqu’un qui a suivi Jésus dès les débuts et qui est constitué avec les apôtres témoin de sa Résurrection. Pour nous aussi, c’est là un critère unifiant : l’évêque est celui qui sait rendre actuel tout ce qui est arrivé à Jésus et surtout sait, avec l’Église, se faire témoin de sa Résurrection. L’évêque est avant tout un martyre du Ressuscité. Ce n’est pas un témoin isolé mais ensemble, avec l’Église. Sa vie et son ministère doivent rendre crédible la Résurrection. En s’unissant au Christ dans la Croix en se livrant vraiment lui-même, il fait jaillir pour son Église la vie qui ne meurt pas. Le courage de mourir, la générosité d’offrir sa propre vie et de se consumer pour le troupeau sont inscrits dans l’ADN de l’épiscopat. Le renoncement et le sacrifice sont congénitaux à la mission épiscopale. Et je veux souligner cela : le renoncement et le sacrifice sont congénitaux à la mission épiscopale. L’épiscopat n’est pas pour soi mais pour l’Église, pour le troupeau, pour les autres, surtout pour ceux qui, selon le monde, seraient à mettre au rebut.
Par conséquent, pour identifier un évêque, la comptabilité des dons humains, intellectuels, culturels ou même pastoraux n’est pas nécessaire. Le profil d’un évêque n’est pas la somme algébrique de ses vertus. Il est certain que nous avons besoin de quelqu’un qui excelle (cic, can. 378 § 1) : son intégrité humaine assure sa capacité de relations saines, équilibrées, pour ne pas projeter sur les autres ses propres manques et devenir un facteur d’instabilité ; sa solidité chrétienne est essentielle pour promouvoir la fraternité et la communion ; son comportement juste atteste de la haute mesure des disciples du Seigneur ; sa préparation culturelle lui permet de dialoguer avec les hommes et leurs cultures ; son orthodoxie et sa fidélité à la vérité tout entière conservée par l’Église en fait un pilier et un point de référence ; sa discipline intérieure et extérieure permet d’être en possession de soi-même et ouvre un espace pour l’accueil et la conduite des autres ; sa capacité à gouverner avec une fermeté paternelle garantit la sécurité de l’autorité qui aide à grandir ; sa transparence et son détachement dans l’administration des biens de la communauté confère une autorité morale et suscite l’estime de tous.
Tous ces dons indispensables doivent toutefois être une déclinaison du témoignage central du Ressuscité, subordonnés à cet engagement prioritaire. C’est l’Esprit du Ressuscité qui fait ses témoins, qui parfait et élève la qualité et les valeurs en édifiant l’évêque.
5. La souveraineté de Dieu auteur du choix
Mais revenons au texte apostolique. Après le discernement difficile, vient la prière des apôtres : « Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi » (Ac 1, 24) et « ils tirèrent au sort » (Ac 1, 26). Apprenons quelle est l’atmosphère de notre travail et qui est le véritable Auteur de nos choix. Nous ne pouvons pas nous éloigner de ce « montre-toi, Seigneur ». Il est toujours indispensable d’assurer la souveraineté de Dieu. Les choix ne peuvent pas être dictés par nos prétentions, conditionnés par d’éventuelles « équipes », factions ou hégémonies. Pour garantir cette souveraineté, deux attitudes fondamentales sont nécessaires : le tribunal de notre propre conscience devant Dieu et la collégialité. Et cela constitue une garantie.
Dès les premiers pas de notre travail complexe (des nonciatures au travail des officiaux, des membres et des supérieurs), ces deux attitudes sont incontournables : la conscience devant Dieu et l’engagement collégial. Pas décider de manière arbitraire, mais discerner ensemble. Personne ne peut tout avoir en main, chacun pose avec humilité et honnêteté sa propre tesselle dans une mosaïque qui appartient à Dieu.
Cette vision fondamentale nous pousse à abandonner le petit cabotage de nos barques pour suivre la route du grand navire de l’Église de Dieu, son horizon universel de salut, sa boussole solide dans la Parole et dans le ministère, la certitude du souffle de l’Esprit qui la pousse et la certitude du port qui l’attend.
6. Des évêques « kérygmatiques »
Un autre critère nous est enseigné par Ac 6, 1-7 : les apôtres imposent les mains sur ceux qui doivent servir aux table, car ils ne peuvent pas « laisser de côté la Parole de Dieu ». Etant donné que la foi vient de l’annonce, nous avons besoin d’évêques kérygmatiques. Des hommes qui rendent accessible ce « pour vous » dont parle saint Paul. Des hommes gardiens de la doctrine, non pour mesurer à quel point le monde vit éloigné de la vérité que celle-ci contient, mais pour fasciner le monde, pour l’enchanter par la beauté de l’amour, pour le séduire avec l’offre de la liberté donnée par l’Évangile. L’Église n’a pas besoin d’apologistes de ses propres causes, ni de croisades pour ses batailles, mais de semeurs humbles et confiants de la vérité, qui savent que celle-ci leur est toujours à nouveau remise et qui ont confiance dans sa puissance. Des évêques conscients que, même lorsqu’il fera nuit et que le travail du jour les trouvera fatigués, dans le champ, les semences seront en train de germer. Des hommes patients, parce qu’ils savent que l’ivraie ne sera jamais envahissante au point de remplir le champ. Le cœur humain est fait pour le blé, c’est l’ennemi qui a jeté la mauvaise semence en cachette. Toutefois, le temps de l’ivraie est déjà irrévocablement fixé.
Je voudrais bien souligner cela : des hommes patients ! On dit que le cardinal Siri avait l’habitude de répéter : « Les vertus d’un évêque sont au nombre de cinq : la première la patience, la deuxième la patience, la troisième la patience, la quatrième la patience et la dernière la patience à l’égard de ceux qui nous invitent à avoir de la patience ».
Il faut donc plutôt s’engager sur la préparation du terrain, sur l’étendue des semailles. Agir comme des semeurs confiants, en évitant la peur de celui qui a l’illusion que la récolte ne dépend que de lui, ou l’attitude désespérée des élèves qui, ayant négligé de faire leurs devoirs, s’écrient que désormais il n’y a plus rien à faire.
7. Des évêques orants
Le même texte de Ac 6, 1-7 se réfère à la prière comme à l’une des deux tâches essentielles de l’évêque : « Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis de l’Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole » (vv. 3-4). J’ai parlé d’évêques kérygmatiques, à présent je signale l’autre caractéristique de l’identité de l’évêque : un homme de prière. Dans la prière, il doit avoir la même parresia que dans l’annonce de la Parole, il doit l’avoir dans la prière, car il traite avec Dieu notre Seigneur le bien de son peuple, le salut de son peuple. Etre courageux dans sa prière d’intercession comme Abraham, qui négociait avec Dieu le salut de ce peuple (cf. Gn 18, 22-33) ; comme Moïse, quand il se sentait impuissant pour guider le peuple (Nb 11, 10-15), quand le Seigneur est las de son peuple (cf. Nb 14, 10-19), ou quand il lui dit qu’il va détruire le peuple et qu’il lui promet de le nommer chef d’un autre peuple. Avoir ce courage de dire non, je ne négocie pas mon peuple, devant Lui ! (cf. Ex 32, 11-14.30.32). Un homme qui n’a pas le courage de discuter avec Dieu en faveur de son peuple ne peut pas être évêque — je dis cela du fond du cœur, j’en suis convaincu —, pas plus que celui qui n’est pas capable d’assumer la mission de conduire le peuple de Dieu jusqu’au lieu que Lui, le Seigneur, lui indique (cf. Ex 32, 33-34).
Et cela vaut aussi pour la patience apostolique : il doit avoir dans la prière la même hypomone qu’il doit exercer dans la prédication de la Parole (cf. 2 Co 6, 4). L’évêque doit être capable d’« entrer en patience » devant Dieu, en regardant et en se laissant regarder, en trouvant et en se laissant trouver, patiemment devant le Seigneur. Souvent en s’endormant devant le Seigneur, mais cela est bon, cela fait du bien !
Parresia et hypomone dans la prière forgent le cœur de l’évêque et l’accompagnent dans la parresia et l’hypomone qu’il doit avoir dans l’annonce de la Parole dans le kerigma. C’est ce que je comprends quand je lis le verset 4 du chapitre 6 des Actes des apôtres.
8. Des évêques pasteurs
Dans les paroles que j’ai adressées aux représentants pontificaux, j’ai ainsi tracé le profil des candidats à l’épiscopat : ils doivent être des pasteurs proches des personnes, « des pères et des frères, qu’ils soient doux, patients et miséricordieux ; qu’ils aiment la pauvreté, intérieure comme liberté pour le Seigneur et aussi extérieure, comme simplicité et austérité de vie, qu’ils n’aient pas une psychologie de “princes” ; ...qu’ils ne soient pas ambitieux et qu’ils ne recherchent pas l’épiscopat... qu’ils soient les époux d’une Église, sans être constamment à la recherche d’une autre — cela s’appelle adultère. Qu’ils soient capables de “surveiller” le troupeau qui leur sera confié, c’est-à-dire d’avoir soin de tout ce qui le garde uni ; capables de “veiller” pour le troupeau » (21 juin 2013).
Je répète que l’Église a besoin de pasteurs authentiques ; et je voudrais approfondir ce profil du pasteur. Reprenons le testament de l’apôtre Paul (cf. Ac 20, 17, 38). Il s’agit de l’unique discours prononcé par l’apôtre dans le livre des Actes qui est adressé aux chrétiens. Il ne parle pas à ses adversaires pharisiens, ni aux sages grecs, mais aux siens. Il nous parle. Il confie les pasteurs de l’Église « à la Parole de la grâce qui a le pouvoir d’édifier et d’accorder l’héritage ». Ils ne sont donc pas les maîtres de la Parole, mais ils sont remis à celle-ci, ce sont des serviteurs de la Parole. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible d’édifier et d’obtenir l’héritage des saints. À ceux qui se tourmentent avec la question sur leur héritage — « quel est le legs d’un évêque ? L’or ou l’argent ? » — Paul répond : la sainteté. L’Église demeure quand se répand la sainteté de Dieu dans ses membres. Quand du plus profond de son cœur, qui est la Très Sainte Trinité, cette sainteté jaillit et atteint tout le Corps. Il est nécessaire que l’onction s’écoule du haut jusqu’à l’ourlet du manteau. Un évêque ne pourrait jamais cesser de s’inquiéter que l’huile de l’Esprit de sainteté arrive bien jusqu’au dernier pan de l’habit de son Église.
Le Concile Vatican II affirme qu’aux évêques « la charge pastorale, c’est-à-dire le soin habituel et quotidien de leurs brebis, [leur] est pleinement remise » (Lumen gentium, n. 27). Il faut s’arrêter davantage sur ces deux qualificatifs du soin du troupeau : habituel et quotidien. À notre époque, l’habitude et la quotidienneté sont souvent associées à la routine et à l’ennui. C’est pourquoi on cherche assez souvent à s’échapper vers un « ailleurs » permanent. Cela est une tentation des pasteurs, de tous les pasteurs. Les pères spirituels doivent bien nous l’expliquer, afin que nous le comprenions et que nous n’en soyons pas victimes. Dans l’Église aussi, nous ne sommes malheureusement pas exempts de ce risque. C’est pourquoi il est important de réaffirmer que la mission de l’évêque exige l’assiduité et la quotidienneté. Je pense qu’en cette époque de rencontres et de congrès, le décret de résidence du Concile de Trente est très actuel : il est très actuel et il serait beau que la Congrégation pour les évêques écrive quelque chose à ce propos. Le troupeau a besoin de trouver sa place dans le cœur du pasteur. Si celui-ci n’est pas solidement ancré en lui-même, dans le Christ et dans son Église, il sera sans cesse ballotté par les vagues à la recherche de compensations éphémères et il n’offrira aucun abri au troupeau.
Conclusion
À la fin de mon discours, je me pose la question : où pouvons-nous trouver de tels hommes ? Cela n’est pas facile. Existent-ils ? Comment les sélectionner ? Je pense au prophète Samuel à la recherche du successeur de Saül (cf. 1 S 16, 11-13) qui demande au vieux Jessé : « En est-ce fini avec tes garçons ? », et apprenant que le petit David faisait paître le troupeau, il ordonne : « Envoie-le chercher ». Nous aussi nous ne pouvons manquer de scruter les champs de l’Église en cherchant qui présenter au Seigneur, pour qu’Il dise : « Donne-lui l’onction : c’est lui ! ». Je suis certain qu’ils existent, car le Seigneur n’abandonne pas son Église. Peut-être est-ce nous qui n’allons pas assez dans les champs pour les chercher. Peut-être avons-nous besoin de l’avertissement de Samuel : « Nous ne nous mettrons pas à table avant qu’il ne soit venu ici ». C’est de cette sainte inquiétude que je voudrais que vive cette Congrégation.

mercredi 26 février 2014

Ne pas oublier l’importance du Sacrement des malades

Audience Générale du Pape François.


Chers frères et sœurs, bonjour.
Aujourd’hui, je voudrais vous parler du sacrement de l’onction des malades, qui nous permet de toucher du doigt la compassion de Dieu pour l’homme. Par le passé, il était appelé « extrême onction », parce qu’il était entendu comme réconfort spirituel à l’approche imminente de la mort. Parler en revanche d’« onction des malades » nous aide à étendre le regard à l’expérience de la maladie et de la souffrance, dans l’horizon de la miséricorde de Dieu.
Il existe une icône biblique qui exprime dans toute sa profondeur le mystère qui transparaît dans l’onction des malades : c’est la parabole du « bon samaritain », dans l’Évangile de Luc (10, 30-35). Chaque fois que nous célébrons ce sacrement, le Seigneur Jésus, dans la personne du prêtre, se fait proche de celui qui souffre et qui est gravement malade ou âgé. La parabole dit que le bon samaritain prend soin de l’homme qui souffre en versant de l’huile et du vin sur ses blessures. L’huile nous fait penser à ce qui est béni par l’évêque chaque année, lors de la Messe chrismale du Jeudi Saint, précisément en vue de l’onction des malades. Le vin, en revanche, est le signe de l’amour et de la grâce du Christ qui jaillissent du don de sa vie pour nous et qui s’expriment dans toute leur richesse dans la vie sacramentelle de l’Église. Enfin, la personne qui souffre est confiée à un aubergiste, afin qu’il puisse continuer d’en prendre soin, sans épargner les dépenses. Or, qui est cet aubergiste ? C’est l’Église, la communauté chrétienne, c’est nous, auxquels le Seigneur Jésus confie chaque jour ceux qui sont atteints dans le corps et dans l’esprit, afin que nous puissions continuer à déverser sur eux, sans mesure, toute sa miséricorde et le salut.
Ce mandat est répété de façon explicite et précise dans la Lettre de Jacques, où l’on recommande : « L’un de vous est malade ? Qu’il appelle les Anciens en fonction dans l’Église : ils prieront sur lui après lui avoir fait une onction d’huile au nom du Seigneur. Cette prière inspirée par la foi sauvera le malade : le Seigneur le relèvera et, s’il a commis des péchés, il recevra le pardon » (5, 14-15). Il s’agit donc d’une pratique qui était déjà en cours au temps des apôtres. En effet, Jésus a enseigné à ses disciples à avoir la même prédilection pour les malades et pour les personnes qui souffrent et leur a transmis la capacité et le devoir de continuer à dispenser en son nom et selon son cœur soulagement et paix, à travers la grâce spéciale de ce sacrement. Cela ne doit pas nous faire tomber dans la recherche obsessionnelle du miracle ou dans la présomption de pouvoir obtenir toujours et de toute façon la guérison. Mais [ce sacrement nous offre] la certitude de la proximité de Jésus au malade et également à la personne âgée car chaque malade, chaque personne âgée de plus de 65 ans peut recevoir ce sacrement, à travers lequel c’est Jésus lui-même qui s’approche de nous.
Mais en présence d’un malade, on pense parfois : « appelons le prêtre pour qu’il vienne » ; « Non, cela portera malheur, ne l’appelons pas », ou encore « le malade va prendre peur ». Pourquoi pense-t-on cela ? Parce que l’on a un peu l’idée qu’après le prêtre arrivent les pompes funèbres. Et cela n’est pas vrai. Le prêtre vient pour aider le malade ou la personne âgée ; c’est pour cela que la visite des prêtres aux malades est si importante. Il faut appeler le prêtre au chevet du malade et dire : « venez, donnez-lui l’onction, bénissez-le ». C’est Jésus lui-même qui arrive pour soulager le malade, pour lui donner la force, pour lui donner l’espérance, pour l’aider ; et aussi pour lui pardonner ses péchés. Et cela est très beau ! Et il ne faut pas penser que cela est un tabou, car il est toujours beau de savoir qu’au moment de la douleur et de la maladie, nous ne sommes pas seuls : le prêtre et ceux qui sont présents au cours de l’onction des malades représentent en effet toute la communauté chrétienne qui, comme un unique corps, se rassemble autour de celui qui souffre et de sa famille, en nourrissant en eux la foi et l’espérance, et en les soutenant par la prière et la chaleur fraternelle. Mais le réconfort le plus grand découle du fait que dans le sacrement est présent le Seigneur Jésus lui-même, qui nous prend par la main, nous caresse comme il le faisait avec les malades et nous rappelle que désormais, nous lui appartenons et que rien — pas même le mal et la mort — ne pourra jamais nous séparer de Lui. Avons-nous l’habitude d’appeler le prêtre pour qu’il vienne et donne à nos malades — je ne parle pas des malades qui ont la grippe, pendant trois ou quatre jours, mais de ceux qui ont une maladie grave — et également à nos personnes âgées ce sacrement, ce réconfort, cette force de Jésus pour aller de l’avant ? Faisons-le !


Je vous salue bien cordialement chers amis de langue française, en particulier les séminaristes des Carmes, de Paris, les diocésains de Bourges et leur Évêque, les lycéens d’Athènes, ainsi que les paroisses et les jeunes venant de France.      
Je vous invite à ne pas oublier l’importance du Sacrement des malades. La mort et la maladie ne sont pas des tabous. N’hésitez pas à proposer ce sacrement aux personnes qui souffrent pour que Jésus leur donne sa consolation et sa paix.
Bon pèlerinage.