mercredi 31 juillet 2013

Je ne peux pas suivre le Christ sinon dans l’Eglise et avec l’Eglise

Homélie du Pape François à l'occasion de la fête de Saint Ignace de Loyola.


En cette Eucharistie au cours de laquelle nous célébrons notre Père Ignace de Loyola, à la lumière des lectures que nous avons écoutées, je voudrais proposer trois pensées simples, guidées par trois expressions : mettre au centre le Christ et l’Église ; se laisser conquérir par Lui pour servir ; ressentir de la honte pour nos limites et nos péchés, pour être humbles devant Lui et devant nos frères.

1. Notre blason à nous, jésuites, est un monogramme, l’acronyme de Iesus Hominum Salvator (ihs). Chacun de vous pourra me dire : nous le savons parfaitement ! Mais ce blason nous rappelle constamment une réalité que nous ne devons jamais oublier : la place centrale du Christ pour chacun de nous et pour toute la Compagnie, que saint Ignace voulut précisément appeler « de Jésus » pour indiquer le point de référence. Du reste, même au début des Exercices spirituels, il nous place face à notre Seigneur Jésus Christ, à notre Créateur et Sauveur (cf. ee, 6). Et cela nous conduit, nous jésuites et toute la Compagnie, à être « décentrés », à avoir devant nous le « Christ toujours plus grand », le Deus semper maior, l’intimior intimo meo, qui nous fait sortir de nous-mêmes en permanence, qui nous conduit à une certaine kenosis, à « sortir de notre amour, de notre volonté et de notre intérêt » (ee, 189). Pour nous, pour nous tous, cette question n’est pas évidente : le Christ est-il le centre de ma vie ? Est-ce que je place vraiment le Christ au centre de ma vie ? Parce qu’il y a toujours la tentation de penser que c’est nous qui sommes au centre. Et quand un jésuite se met lui-même au centre et non pas le Christ, il commet une erreur. Dans la première lecture, Moïse répète avec insistance au peuple d’aimer le Seigneur, de marcher dans ses voies, « parce qu’Il est ta vie » (cf. Dt 30, 16.20). Le Christ est notre vie ! À la place centrale du Christ correspond aussi la place centrale de l’Église : ce sont deux feux que l’on ne peut séparer ; je ne peux pas suivre le Christ sinon dans l’Eglise et avec l’Eglise. Et dans ce cas également, nous, jésuites, et l’ensemble de la Compagnie, nous ne sommes pas au centre, nous sommes, pour ainsi dire, « déplacés », nous sommes au service du Christ et de l’Église, l’Épouse du Christ notre Seigneur, qui est notre Sainte Mère l’Église hiérarchique (cf. ee, 353). Être des hommes enracinés et fondés dans l’Église : c’est ainsi que nous veut Jésus. Il ne peut pas y avoir de chemins parallèles ou isolés. Oui, des chemins de recherche, des chemins créatifs, oui, cela est important : aller vers les périphéries, les nombreuses périphéries. Cela exige de la créativité, mais toujours en communauté, dans l’Église, avec cette appartenance qui nous donne le courage d’aller de l’avant. Servir le Christ, c’est aimer cette Église concrète et la servir avec générosité et dans un esprit d’obéissance.

2. Quelle est la voie pour vivre ce double caractère central ? Regardons l’expérience de saint Paul, qui est également l’expérience de saint Ignace. Dans la deuxième lecture que nous avons écoutée, l’apôtre écrit : je m’efforce de courir vers la perfection du Christ « ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus » (Ph 3, 12). Pour Paul, cela a eu lieu sur le chemin de Damas, pour Ignace dans sa maison de Loyola, mais le point fondamental est commun : se laisser conquérir par le Christ. Je cherche Jésus, je sers Jésus parce que lui m’a cherché en premier, parce que j’ai été conquis par Lui : et c’est là le cœur de notre expérience. Mais lui est premier, toujours. En espagnol, il existe un mot qui est très éloquent, qui l’explique bien : lui nous « primerea », « El nos primerea ». Il est toujours le premier. Quand nous arrivons, Il est arrivé et il nous attend. Et ici, je voudrais rappeler la méditation sur le Royaume pendant la Deuxième Semaine. Le Christ notre Seigneur, Roi éternel, appelle chacun de nous en nous disant : « Qui veut venir avec moi doit travailler avec moi, afin qu’en me suivant dans la souffrance, il me suive aussi dans la gloire » (ee, 95) : être conquis par le Christ pour offrir à ce Roi toute notre personne et tous nos efforts (cf. ee, 96) ; dire au Seigneur de vouloir tout faire pour son plus grand service et sa louange, l’imiter dans sa façon de supporter même les insultes, le mépris, la pauvreté (cf. ee, 98). Mais je pense à notre frère en Syrie en ce moment. Se laisser conquérir par le Christ signifie être toujours tendus vers ce qui se trouve devant moi, vers l’objectif du Christ (cf. Ph 3, 14) et se demander en vérité et avec sincérité : Qu’est-ce que j’ai fait pour le Christ ? Qu’est-ce que je fais pour le Christ ? Que dois-je faire pour le Christ ? (cf. ee, 53).

3. Et j’en viens au dernier point. Dans l’Évangile, Jésus nous dit : « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera »... « Celui qui aura rougi de moi...» (Lc 9, 23). Et ainsi de suite. La honte du jésuite. L’invitation que fait Jésus est de ne jamais rougir de Lui, mais de le suivre toujours avec un dévouement total, en se confiant et en se fiant à Lui. Mais en regardant Jésus, comme saint Ignace nous l’enseigne dans la Première Semaine, surtout en regardant le Christ crucifié, nous ressentons le sentiment si humain et si noble qu’est la honte de ne pas être à la hauteur ; nous regardons la sagesse du Christ et notre ignorance, sa toute-puissance et notre faiblesse, sa justice et notre iniquité, sa bonté et notre méchanceté (cf. ee, 59). Demander la grâce de la honte, la honte qui vient du dialogue constant de miséricorde avec Lui, la honte qui nous fait rougir devant Jésus Christ, la honte qui nous met en harmonie avec le cœur du Christ qui s’est fait péché pour moi, la honte qui met notre cœur en harmonie dans les larmes et qui nous accompagne dans la sequela quotidienne de « mon Seigneur ». Et cela nous conduit toujours, en tant qu’individus et en tant que Compagnie, à l’humilité, à vivre cette grande vertu. Une humilité qui nous fait prendre conscience chaque jour que ce n’est pas nous qui construisons le Royaume de Dieu, mais que c’est toujours la grâce du Seigneur qui agit en nous, l’humilité qui nous pousse à nous placer de tout notre être non pas au service de nous-mêmes ou de nos idées, mais au service du Christ et de l’Église, comme des vases d’argile, fragiles, inadéquats, insuffisants, mais dans lesquels se trouve un immense trésor que nous portons et que nous communiquons (2 Co 4, 7). J’ai toujours aimé penser au crépuscule du jésuite, lorsqu’un jésuite finit sa vie, quand il est à son crépuscule. Et me viennent toujours à l’esprit deux icônes de ce crépuscule du jésuite : l’une, classique, celle de saint François-Xavier, regardant la Chine. L’art l’a peint tant de fois ce crépuscule, cette fin de Xavier. Même la littérature, dans ce beau texte de Pemán. À la fin, sans rien, mais devant le Seigneur ; cela me fait du bien de penser à cela. L’autre crépuscule, l’autre icône qui vient comme un exemple, est celle de Père Arrupe lors de son dernier entretien dans le camp de réfugiés, quand il nous avait dit — ce que lui-même disait — « Je dis ceci comme si c’était mon chant du cygne : priez ». La prière, l’union avec Jésus. Et après avoir dit cela, il a pris l’avion, est arrivé à Rome et a eu cet ictus, qui a marqué le début de ce crépuscule si long et si exemplaire. Deux crépuscules, deux icônes qu’il sera bon pour nous tous de regarder, et d’y revenir. Et demander la grâce que nos crépuscules soient comme les leurs.

Chers frères, tournons-nous vers Nuestra Señora, Elle qui a apporté le Christ dans son sein et qui a accompagné les premiers pas de l’Église, qu’elle nous aide à mettre au centre de notre vie et de notre ministère le Christ et son Église. Elle qui a été la première et la plus parfaite disciple de son Fils, qu’elle nous aide à nous laisser conquérir par le Christ pour le suivre et le servir dans toutes les situations. Elle qui répondit avec la plus profonde humilité à l’annonce de l’Ange : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m'advienne selon ta parole ! » (Lc 1, 38), qu’elle nous fasse ressentir la honte de notre insuffisance face au trésor qui nous a été confié, pour vivre l’humilité devant Dieu. Que nous accompagne sur notre chemin l’intercession paternelle de saint Ignace et de tous les saints jésuites, qui continuent de nous enseigner à tout faire, avec humilité, ad maiorem Dei gloriam.

lundi 29 juillet 2013

JMJ 2013 - Interview dans l'avion de retour du Brésil

"Je crois que c'est le temps de la miséricorde"

Rencontre du Pape François avec les journalistes sur le vol de Rio à Rome, au retour de son premier voyage apostolique à l'occasion des 28e Journées Mondiales de la Jeunesse.


Bonsoir et merci infiniment. Je suis content. Ce fut un beau voyage, spirituellement cela m’a fait du bien. Je suis fatigué, assez, mais j’ai le cœur joyeux, et je vais bien : cela m’a fait du bien spirituellement. Rencontrer les personnes fait du bien ; car le Seigneur œuvre en chacun de nous, il travaille dans les cœurs, et la richesse du Seigneur est si grande que nous pouvons toujours recevoir beaucoup de belles choses des autres. Et cela me fait du bien. Ceci, comme premier bilan.

Puis je dirais que la bonté, le cœur du peuple brésilien est grand, oui c’est vrai : il est grand. C’est un peuple si aimable, un peuple qui aime la fête, qui même dans la souffrance trouve toujours un chemin pour chercher le bien quelque part. Et cela c'est bien : c’est un peuple joyeux, le peuple a beaucoup souffert! L’allégresse des brésiliens est contagieuse! Ce peuple a un grand cœur.

Puis je dirais des organisateurs, tant de notre part comme du côté des Brésiliens ; mais j’ai senti que je me trouvais devant un ordinateur, cet ordinateur incarné… mais vraiment! C’était tout chronométré, n’est-ce-pas? Mais beau. Puis nous avons eu des problèmes avec les hypothèses de sécurité : sécurité par-ci sécurité par-là ; il n’y a eu aucun incident dans tout Rio de Janeiro, ces jours-ci, et tout était spontané.

Avec moins de sécurité, j’ai pu être avec les gens, les étreindre, les saluer, sans voitures blindées… la sécurité c'est d’avoir confiance dans un peuple. C’est vrai, il y a toujours le danger qu’un fou… eh, oui, qu’il y ait un fou qui fasse quelque chose : mais il y a aussi le Seigneur! Mais mettre un espace blindé entre l’évêque et le peuple est une folie ; et je préfère cette folie : dehors, et courir le risque de l’autre folie. Je préfère cette folie : dehors. La proximité fait du bien à tout le monde.

Et puis, l’organisation des Journées, pas quelque chose en particulier, mais tout : la partie artistique, la partie religieuse, la partie catéchétique, la partie liturgique… c’était très beau! Ils ont une capacité à s’exprimer dans l’art. Hier, par exemple, ils ont fait de très très belles choses !

Puis, Aparecida : Aparecida pour moi c'est une expérience religieuse forte. Je me souviens de la Cinquième conférence [des évêques d'Amérique latine et des Caraïbes]. Je suis resté là, pour prier, prier. Je voulais y aller seul, un peu en cachette, ce n’était pas possible, je le savais avant d’arriver. Il y avait une foule impressionnante! Et nous avons prié.

Mais vous aussi, de votre côté, on met dit que votre travail a été, on m’a dit – moi je n’ai pas lu les journaux ces jours-ci, je n’avais pas le temps, je n’ai pas regardé la TV, rien –, mais on m’a dit que vous avez fait du bon, bon, bon travail! Merci, merci pour la collaboration, merci d’avoir fait tout ça.

Et puis le nombre, le nombre des jeunes. Aujourd’hui – je ne peux y croire – mais aujourd’hui le Gouverneur parlait de trois millions. Je ne peux y croire. Mais de l’autel – c’est vrai! – je ne sais si certains d’entre vous étaient à l’autel : de l’autel jusqu’à la fin, la plage était pleine, jusqu’au tournant ; plus de quatre kilomètres. Mais tant de jeunes. Et on dit, Mgr Tempesta m’a dit qu’ils étaient de 178 Pays : 178! Le vice-président aussi m’a donné les mêmes chiffres: ça c’est sûr. C’est important! Fort!

Question sur Mgr Ricca et sur le lobby gay
Pour Mgr Ricca, j’ai fait ce que le droit canon demande de faire, c’est la investigatio previa [enquête préalable à toute nomination, ndlr]. Et de cette investigatio, il n’y a rien des accusations portées contre lui, nous n’avons rien trouvé à ce sujet. Voilà la réponse.

Mais je voudrais ajouter quelque chose sur ce point : je vois que souvent, dans l’Église, en dehors de ce cas et aussi dans ce cas, on va chercher les "péchés de jeunesse", par exemple, et on le publie. Pas les délits, hein ? Les délits, c’est autre chose : l’abus des mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne, laïque ou prêtre, ou sœur, a fait un péché et s’est convertie ensuite, le Seigneur pardonne, et quand le Seigneur pardonne, le Seigneur oublie et ça, c’est important pour notre vie. Quand nous allons nous confesser et que nous disons vraiment « J’ai péché sur ce point », le Seigneur oublie et nous n’avons pas le droit de ne pas oublier, parce que nous courons le risque que le Seigneur n’oublie pas nos péchés. C’est un danger, ceci. C’est important : une théologie du péché. Si souvent, je pense à Saint Pierre : il a fait un des pires péchés, qui est de renier le Christ, et avec ce péché, on l’a fait pape. Nous devons beaucoup y réfléchir. 

Mais, pour revenir à votre question plus concrète : dans ce cas, j’ai fait l’investigatio previa et nous n’avons pas trouvé. C’est la première question. Et puis, vous parliez du lobby gay. Bah ! On écrit tellement sur le lobby gay. Je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui puisse me donner la carte d’identité, au Vatican, avec "gay ". On dit qu’il y en a. Je crois que quand on se trouve avec quelqu’un comme ça, on doit distinguer le fait d’être une personne gay du fait de faire un lobby, parce que les lobbies, tous, ne sont pas bons.  Ca, c’est mauvais.

Si une personne est gay et cherche le Seigneur et qu’elle est de bonne volonté, mais qui suis-je pour la juger ? Le Catéchisme de l’Église catholique explique cela d’une manière très belle, mais il dit, attends un peu, comment dire, et il dit : « il ne faut pas marginaliser ces personnes pour autant, elles doivent être intégrées dans la société ». Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, non, nous devons être frères, parce que lui c’en est un, mais s’il y en a un autre, un autre. Le problème, c’est de faire un lobby de cette tendance : lobby d’avares, lobby de politiciens, lobby de francs-maçons, tous ces lobbies. C’est cela, le problème le plus grave pour moi. Et je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question. Merci beaucoup !

Hada Messia (États-Unis, CNN) : le pape se sent en cage ?
Vous savez combien de fois j’ai eu envie d’aller dans les rues de Rome, parce que, à Buenos Aires, j’aimais aller dans la rue, j’aimais tellement ! En ce sens, je me sens un peu en cage. Mais, ça, je dois le dire, parce qu’ils sont tellement bons, ceux de la Gendarmerie vaticane, ils sont bons, bons, bons, et je leur en suis reconnaissant.

Maintenant, ils me laissent faire un peu plus de choses. Je crois… leur devoir est de maintenir la sécurité. En cage, dans ce sens-là. Moi, j’aimerais aller dans la rue, mais je comprends que ce n’est pas possible, je le comprends. C’est dans ce sens que j’ai dit cela. Parce que j’avais l’habitude, comme on dit à Buenos Aires, j’étais un prêtre callejero [des rues]…

L'austérité, la curie, les saints
Les changements… les changements viennent de deux versants : celui que nous cardinaux nous avons demandé et celui qui vient de ma personnalité. Vous parliez du fait que je suis resté à Sainte-Marthe : mais je ne pourrais pas vivre seul dans le Palais, et ce n’est pas luxueux. L’appartement pontifical n’est pas si luxueux! Il est large, grand, mais ce n’est pas luxueux. Mais je ne peux pas vivre tout seul ou avec un petit groupe! J’ai besoin de gens, de trouver des gens, de parler avec les gens… c’est pourquoi quand les enfants des écoles jésuites m’ont demandé : « Pourquoi vivez-vous à Sainte-Marthe? Par austérité, par pauvreté? ». Non, non : pour raisons psychiatriques, tout simplement, car psychologiquement je ne peux pas. Chacun doit mener sa vie avec sa manière de vivre, d’être. Les cardinaux qui travaillent à la curie ne vivent pas en riches ou plein de fastes : ils vivent dans un petit appartement, sont austères : ceux que je connais, ces appartements que l’APSA donne aux cardinaux. 

Et puis, je voulais vous dire une autre chose. Mais l’austérité – une austérité générale – je crois que nous tous qui travaillons au service de l’Eglise nous en avons besoin. Il y a tant de nuances dans l’austérité… chacun doit chercher sa voie.

Quant à la question des saints [à la curie] , c’est vrai, il y en a beaucoup : cardinaux, prêtres, évêques, religieuses, laïques; des gens qui prient, des gens qui travaillent beaucoup, mais qui vont aussi voir les pauvres, en cachette. Je sais qu’il y en a certains qui se préoccupent de donner à manger aux pauvres et qui, dans leurs heures de liberté, vont exercer leur ministère dans une église ou dans une autre… ils sont prêtres. Il y a des saints à la curie.

Et certains qui ne le sont pas, et ceux-là sont ceux qui font le plus de bruit. Vous le savez, un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Et je souffre quand il y a ces choses. Il y en a certains qui font scandale, certains. Nous avons ce monseigneur en prison, je crois qu’il est encore en prison ; il n’y est pas allé parce qu’il ressemble à la bienheureuse Imelda, ce n’était pas un bienheureux. Ce sont des scandales qui font mal. Une chose – ça je ne l’ai jamais dit, mais je m’en suis aperçu – je crois que la curie a un peu baissé de niveau par rapport à autrefois, à l’époque des vieux curiaux… le profil du vieux curial, fidèle, qui faisait son travail. Nous avons besoin de ces personnes. Je crois… il y en a, mais pas autant qu’avant. Le profil du vieux curial : je dirais comme ça. Nous devons en avoir davantage.
Si je trouve de la résistance? Mah! S’il y a de la résistance, je ne l’ai pas encore vue. Il est vrai que je n’ai pas fait tant de choses, mais on peut dire que, oui, j’ai trouvé de l’aide, et j’ai trouvé aussi des personnes loyales. Par exemple, j’aime bien quand une personne me dit : «  Je ne suis pas d’accord », et ça je l’ai trouvé. « - Mais cela je ne le vois pas, je ne suis pas d'accord. - Je vous le dis, faites-le ». Celui-là, c’est un vrai collaborateur. Et je l’ai trouvé à la curie. C’est bien. Mais quand il y a ceux qui disent : « Ah, tout est beau, tout est beau, tout est beau », et puis disent le contraire de l’autre côté… je ne sais pas, peut-être qu’il y en a quelques uns mais je ne m’en suis pas encore aperçu. De la résistance, en quatre mois, il ne peut pas y en avoir beaucoup…


Parole du pape sur la canonisation et les autres causes
Jean XXIII est un peu la figure du "prêtre de campagne", le prêtre qui aime chacun des fidèles, qui sait prendre soin des fidèles et cela, il l’a fait comme évêque, comme nonce. Combien de témoignages de faux [certificats de] baptêmes a-t-il faits en Turquie pour sauver les juifs ! C’est un homme courageux, un bon prêtre de campagne, avec un humour si grand, si grand, et une grande sainteté. Quand il était nonce, il y en a quelques-uns qui ne l’aimaient pas tellement au Vatican, et quand il arrivait pour apporter quelque chose ou pour faire une requête, dans certains bureaux, on le faisait attendre. Il ne s’est jamais plaint, jamais ; il priait le chapelet, lisait son bréviaire. Un doux, un humble, même lorsqu’il se préoccupait des pauvres.

Quand le cardinal Casaroli est rentré d’une mission – je crois en Hongrie ou dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie, je ne me souviens plus laquelle des deux – il est allé le trouver pour lui expliquer comment s’était passé la mission, à cette époque de la diplomatie des "petits pas". Et ils ont eu l’audience – Jean XXIII devait mourir vingt jours plus tard – et au moment où Casaroli prenait congé, il l’arrêta : « Ah ! Éminence – non, il n’était pas Éminence – Excellence, une question : vous continuez à aller trouver ces jeunes ? ». Parce que Casaroli allait à la prison des jeunes mineurs de Casal del Marmo, et il jouait avec eux. Et Casaroli a dit : « Oui, oui ! ».  « Ne les abandonnez jamais ! ». Cela à un diplomate, qui rentrait d’un voyage de diplomatie, un voyage si important. Jean XXIII a dit : « N’abandonnez jamais les jeunes ». Mais c’est un grand, un grand !

Et c’est aussi celui du Concile : c’est un homme docile à la voix de Dieu, parce que cela lui est venu de l’Esprit-Saint, cela lui est venu et il a été docile. Pie XII y avait pensé, mais les circonstances n’étaient pas mûres pour le faire. Je crois que lui n’a pas pensé aux circonstances, il a senti cela et il l’a fait. Un homme qui se laissait guider par le Seigneur.

Sur Jean-Paul II, il me vient à l’esprit de dire : « le grand missionnaire de l’Église ». C’est un missionnaire, c’est un missionnaire, un homme qui a porté l’Évangile partout, vous le savez mieux que moi. Lui, combien de voyages a-t-il faits ? Mais il y allait ! Il ressentait ce feu d'apporter la Parole du Seigneur. C’est un Paul, c’est un saint Paul, c’est un homme comme ça ; pour moi, cet homme est grand.

Et faire la cérémonie de canonisation de tous les deux ensemble, je crois que c’est un message pour l’Église : ces deux-là sont bons, ils sont bons, ils sont bons tous les deux.

Mais il y a la cause de Paul VI en cours, et aussi celle du pape Luciani : elles sont toutes les deux en cours.

Mais, encore une chose que je crois avoir dite, mais je ne sais pas je l’ai dite ici où là : la date de la canonisation. On pensait au 8 décembre de cette année, mais il y a un gros problème ; ceux qui viennent de Pologne, les pauvres, parce qu'il y a ceux qui ont les moyens de venir en avion, mais les plus pauvres viennent en bus, et, en décembre, les routes sont déjà gelées et je crois qu’il faut repenser la date.

J’ai parlé avec le cardinal Dziwisz et il m’a suggéré deux possibilités : ou le Christ-Roi de cette année, ou le dimanche de la miséricorde de l’année prochaine. Je crois qu’il y a peu de temps d’ici le Christ-Roi de cette année, parce que le Consistoire sera le 30 septembre et fin octobre, c’est trop court mais je ne sais pas, je dois en parler avec le cardinal Amato. Mais je crois que ce ne sera pas le 8 décembre.

A propos de Vatileaks :
Quand je suis allé trouver le pape Benoît, après avoir prié dans la chapelle, nous nous sommes installés dans son bureau et j’ai vu une grande boîte et une grosse enveloppe. Benoît m’a dit, il m’a dit : « Dans cette grande boîte, il y a toutes les déclarations, ce que les témoins ont dit, elles sont toutes là. Mais le résumé et le jugement final sont dans cette enveloppe. Et ici on dit que blablabla… ». Il avait tout dans la tête ! Mais quelle intelligence ! Tout de mémoire, tout ! Mais non, je n’ai pas eu peur, non. Non, non. Mais c’est un gros problème, hein ? Mais je n’ai pas eu peur.

Sur ses relations de travail et de collaboration avec Benoît XVI , il a ajouté :
Je crois que la dernière fois qu’il y a eu deux papes, ou trois papes, ils n’ont pas parlé entre eux, ils luttaient pour voir qui était le pape authentique. Ils sont arrivés à être trois pendant le schisme d’Occident. 

Il y a une chose qui qualifie mon rapport avec Benoît : je l’aime beaucoup. Je l’ai toujours aimé. Pour moi, c’est un homme de Dieu, un homme humble, un homme qui prie. J’ai été si heureux quand il a été élu pape. Et aussi lorsqu’il a donné sa démission, cela a été pour moi un exemple de grandeur ! Un grand. Seul un grand fait cela ! Un homme de Dieu et un homme de prière.

Maintenant, il habite au Vatican et certains me disent : mais comment est-ce possible ? Deux papes au Vatican ! Mais il ne t’encombre pas ? Mais il ne fait pas la révolution contre toi ? Tout ce qu’on entend dire, non ? J’ai trouvé une phrase pour exprimer cela : « C’est comme d’avoir le grand-père à la maison », mais un grand-père sage.

Dans une famille, quand le grand-père est à la maison, il est vénéré, il est aimé, il est écouté. C’est un homme d’une prudence ! Il ne s’immisce pas. Je lui ai si souvent dit : « Sainteté, recevez, faites votre vie, venez avec nous ». Il est venu pour l’inauguration et la bénédiction de la statue de Saint Michel. Voilà, cette phrase dit tout. Pour moi, c’est comme d’avoir le grand-père à la maison, mon papa.

Si j’avais une difficulté ou quelque chose que je n’avais pas compris, je lui téléphonerais : « Mais, dites-moi, je peux le faire, je peux faire ça ? ». Et lorsque je suis allé lui parler de ce gros problème, de Vatileaks, il m’a tout dit avec une simplicité… au service. Il y a quelque chose, je ne sais pas si vous le savez, je crois que si, mais je n’en suis pas sûr : quand il nous a parlé, dans son discours de congé, le 28 février, il nous a dit : « Parmi vous se trouve le prochain pape : je lui promets obéissance ». Mais c’est un grand ; cet homme est un grand !

Pourquoi insistez-vous sur votre charge d'évêque de Rome?
Il ne faut pas aller au-delà de ce qui est dit. Le pape est évêque de Rome, et parce qu’il est l’évêque de Rome, il est le successeur de Pierre, vicaire du Christ ; Il y a d’autres titres, mais le premier des titres est « Evêque de Rome », c’est de là que tout part. Parler, penser que cela veut dire être primus inter pares, non, ceci n’est pas la conséquence de cela. C’est tout simplement le premier titre du pape : Evêque de Rome. Mais il y a aussi les autres… Je crois que vous avez dit quelque chose sur l’œcuménisme : Je crois que cela favorise un peu l’œcuménisme. Mais seulement ça…


Et le carriérisme dans l’Eglise?
Faire l’évêque est un beau travail. Le problème c’est quand on recherche ce travail : ça ce n’est pas aussi bien, cela ne vient  pas du Seigneur. Mais quand le Seigneur appelle un prêtre à devenir évêque, cela est beau. Il y a toujours le danger de se croire supérieur aux autres, et non comme les autres, un peu prince. Ce sont des dangers et des péchés. Mais faire l’évêque est un beau travail : c’est aider les frères à avancer. L’évêque devant les fidèles, pour marquer la route ; l’évêque au milieu des fidèles pour aider la communion ; et l’évêque derrière les fidèles, car les fidèles ont tant de fois le flair de la route. L’évêque doit être comme ça. Vous me demandiez si cela me plaisait ? Oui j’aime faire l’évêque, cela me plait. A Buenos Aires j’étais si heureux! J’étais heureux, vraiment. Le Seigneur m’a assisté en cela. Mais comme prêtre j’étais heureux, et comme évêque j’étais heureux. C’est en ce sens-là que je dis : ça me plaît !

Et faire le pape ?
Aussi, aussi ! Quand le Seigneur  vous met là, si vous faites ce que le Seigneur veut, vous êtes heureux. C’est mon sentiment, ce que je ressens.

Vous vous sentez encore Jésuite?
C’est une question théologique, parce que les jésuites font vœu d’obéissance au pape. Mais si le pape est jésuite, il doit peut-être faire vœu d’obéissance au Général des jésuites… Je ne sais pas comment résoudre ça… Je me sens jésuite dans ma spiritualité ; dans la spiritualité des "Exercices", la spiritualité, celle que j’ai dans le cœur. Je me sens tellement comme ça que, dans trois jours, j’irai fêter avec les jésuites la fête de Saint Ignace ; je dirai la messe le matin. Je n’ai pas changé de spiritualité, non. François, franciscain : non. Je me sens jésuite et je pense en jésuite. Pas de manière hypocrite, mais je pense en jésuite. Merci à vous.

Votre bilan des quatre premiers mois de pontificat?
Mais je ne sais pas comment répondre à cette question, vraiment. Des grandes choses, des grandes choses, il n’y en a pas eu. Des choses belles, oui. Par exemple, la rencontre avec les évêques italiens a été si belle, si belle. En tant qu’évêque de la capitale d’Italie, je me suis senti chez moi avec eux. Et ça, c’était beau, mais je ne sais pas si cela a été la meilleure chose. Une chose douloureuse, mais qui est pas mal entrée dans mon cœur, la visite à Lampédouse. Mais cela fait pleurer, cela m’a fait du bien. Mais quand ces barques arrivent, on les laisse à quelques milles de la côte et ils doivent, en barque, arriver tout seuls. Et cela me fait souffrir parce que je pense que ces personnes sont victimes d’un système socio-économique mondial. Mais le pire, excusez-moi, qui me soit arrivé, c’est un sciatique – vraiment ! – que j’ai eue le premier mois parce que pour faire les interviews, je m’asseyais dans un fauteuil et cela m’a fait un peu mal. C’est une sciatique très douloureuse, très douloureuse ! Je ne le souhaite à personne ! Mais tout ceci, parler avec les personnes, la rencontre avec les séminaristes et les religieuses a été très belle, très belle. Et aussi la rencontre avec les élèves des collèges jésuites a été très belle, ce sont de bonnes choses.

[Ce qui m’a le plus surpris], ce sont les personnes, les personnes, les personnes bonnes que j’ai rencontrées. J’ai trouvé beaucoup de personnes bonnes au Vatican. Je me suis demandé quoi dire, mais ça, c’est vrai. Je fais justice en disant cela : beaucoup de bonnes personnes. Beaucoup de bonnes personnes, beaucoup de bonnes personnes, mais bonnes, bonnes, bonnes !


Quelles mesures concrètes en faveur des femmes dans l’Église ?
Une Église sans les femmes est comme le Collège apostolique sans Marie. Le rôle de la femme dans l’Église n’est pas seulement la maternité, la mère de famille, mais il est plus fort : c’est vraiment l’icône de la Vierge, de Notre Dame, celle qui aide l’Église à grandir ! Mais pensez que la Vierge Marie est plus importante que les apôtres ! Elle est plus importante ! L’Église est féminine, elle est Église, elle est épouse, elle est mère. Mais, dans l’Église, la femme ne doit pas seulement – je ne sais pas comment le dire en italien – le rôle de la femme dans l’Église ne doit pas finir comme mère, comme travailleuse, limitée… Non ! C’est autre chose !

Mais les papes… Paul VI a écrit quelque chose de très beau sur les femmes, mais je crois qu’il faut aller plus loin dans l’explicitation de ce rôle et ce charisme de la femme. On ne peut pas comprendre une Église sans femmes, mais des femmes actives dans l’Église, avec leur profil, qui font avancer.

Je pense à un exemple qui n’a rien à voir avec l’Église mais c’est un exemple historique : en Amérique latine, le Paraguay. Pour moi, la femme du Paraguay est la femme la plus glorieuse de l’Amérique latine. Tu es Paraguayo ? Après la guerre, il restait huit femmes pour un homme, et ces femmes ont fait un choix un peu difficile, le choix d’avoir des enfants pour sauver la patrie, la culture, la foi et la langue. 

Dans l’Église, il faut penser aux femmes dans cette perspective : des choix risqués, mais en tant que femmes. Il faut mieux expliciter cela. Je crois que nous n’avons pas encore de théologie profonde sur la femme, dans l’Église. Elle peut seulement faire ceci, elle peut faire cela, maintenant elle fait l’enfant de chœur, maintenant elle lit les Lectures, elle est présidente de la Caritas… Mais il y a davantage ! Il faut faire une théologie profonde de la femme. C’est ce que je pense.

Quelle participation des femmes dans l’Église ? Quelle position ? Quid de l’ordination ?
Je voudrais expliquer un peu ce que j’ai dit sur la participation des femmes dans l’Église : on ne peut pas se limiter à ce qu’elle fasse l’enfant de chœur, ou la présidente de la Caritas, la catéchiste… Non ! Elle doit être davantage, mais profondément davantage, et même mystiquement davantage, c’est ce que j’ai voulu dire en parlant de la théologie de la femme.
Et, en ce qui concerne l’ordination des femmes, l’Église a parlé et dit : « Non ». C’est Jean-Paul II qui l’a dit, mais il l’a formulé de manière définitive. Cette porte-là est fermée, mais à ce sujet, je veux te dire une chose. Je l’ai dit, mais je le répète. La Vierge Marie était plus importante que les apôtres, les évêques, les diacres et les prêtres. La femme, dans l’Église, est plus importante que les évêques et les prêtres. Comment ? C’est ce que nous devons chercher à mieux expliciter parce que je crois qu’il manque encore une explicitation théologique. Merci.


Paroles du pape François à propos de la liturgie orthodoxe
Dans les Églises orthodoxes, on a conservé cette liturgie ancienne, si belle. Nous, nous avons un peu perdu le sens de l’adoration. Eux le conserve, ils adorent Dieu, ils chantent, le temps ne compte pas. Le centre est Dieu, et c’est une richesse que je voudrais dire en cette occasion, puisque vous me posez cette question.

Une fois, en parlant de l’Église occidentale, de l’Europe occidentale, surtout de l’Église plus mûre, on m’a dit cette phrase : « Lux ex oriente, ex occidente luxus ». Le consumérisme, le bien-être, nous ont fait tant de mal. Vous, en revanche, vous conservez cette beauté de Dieu au centre, la référence.

Quand on lit Dostoïevski – je crois que c’est un auteur que nous devrions tous lire et relire, parce qu’il a une sagesse – on perçoit quelle est l’âme russe, l’âme orientale. Cela nous fera beaucoup de bien.

Nous avons besoin de ce renouveau, de cet air frais de l’Orient, de cette lumière de l’Orient. Jean-Paul II l’avait écrit dans sa Lettre. Mais si souvent le luxus de l’Occident nous fait perdre de vue l’horizon. Je ne sais pas, c’est ce qui me vient à l’esprit. Merci.

Propos du pape François sur l'avion:  ses prochains voyages
De [calendrier] défini-défini, il n’y en a pas. Mais je peux vous dire un peu à quoi on réfléchit. Ce qui est défini, excusez-moi, c’est le 22 septembre à Cagliari, puis le 4 octobre à Assise. J’ai en tête, pour l’Italie, je voudrais aller retrouver les miens [sa famille originaire du Piémont, ndlr], une journée : aller avec un avion le matin et rentrer par un autre, parce que eux, les pauvres, ils m’appellent et nous avons de bonnes relations. Mais seulement un jour.

En dehors de l’Italie : le patriarche Bartholomaios Ier veut faire une rencontre pour commémorer les 50 ans d’Athénagoras et Paul VI à Jérusalem. Le gouvernement israélien aussi m’a adressé une invitation spéciale pour aller à Jérusalem. Je crois que le gouvernement des autorités palestiniennes aussi. On y réfléchit : on ne sait pas bien si on y va ou non…

Et puis, en Amérique latine, je crois qu’il n’y a pas de possibilité d’y retourner, parce que le pape latino-américain, le premier voyage en Amérique latine… au revoir ! Nous devons attendre un peu ! 


Je crois qu’il est possible d’aller en Asie, mais ça c’est dans l’air. J’ai reçu une invitation à aller au Sri Lanka et aussi aux Philippines. Mais en Asie, il faut y aller. Parce que le pape Benoît n’a pas eu le temps d’aller en Asie, et c’est important. Lui, il est allé en Australie, puis en Europe et en Amérique, mais l’Asie…

Aller en Argentine, en ce moment, je crois qu’on peut attendre un peu, parce que tous ces voyages ont une certaine priorité.

Je voulais aller à Constantinople, le 30 septembre, pour rendre visite à Bartholomaios Ier, mais ce n’est pas possible, ce n’est pas possible à cause de mon agenda. Si nous nous rencontrons, nous le ferons à Jérusalem.

Fatima, il y a aussi une invitation à aller à Fatima, c’est vrai, c’est vrai. Il y a une invitation à aller à Fatima. […] Novembre, novembre : Saint André...

Les catholiques divorcés et remariés et l’accès aux sacrements
C’est une question qui revient toujours. La miséricorde est plus grande que le cas que vous posez. Je crois que c’est le temps de la miséricorde. Ce changement d’époque, et tous ces problèmes de l’Église, tels que le témoignage pas bon de certains prêtres, les problèmes de corruption dans l’Église, et aussi le problème du cléricalisme, pour donner un exemple. Cela a fait tant de blessés, tant de blessés.

Et l’Église est mère : elle doit aller soigner les blessés, avec miséricorde. Mais si le Seigneur ne se lasse pas de pardonner, nous n’avons pas d’autre choix que celui-ci : avant tout, soigner les blessés. C’est une maman, l’Église, et elle doit aller sur ce chemin de la miséricorde. Et trouver une miséricorde pour tous. Mais je pense, quand le fils prodigue est rentré à la maison, son père ne lui a pas dit : « Mais toi, écoute, assieds-toi : qu’as-tu fait de l’argent ? ». Non ! Il a fait la fête ! Ensuite, peut-être, quand le fils a voulu parler, il a parlé. C’est ce que doit faire l’Église. Quand il y a quelqu’un… pas seulement les attendre, aller les chercher ! Voilà la miséricorde. Et je crois que c’est un kairós, ce temps est un kairós de miséricorde.

Mais cette première intuition, c’est Jean-Paul II qui l’a eue, quand il a commencé avec Faustine Kowalska, la divine miséricorde… il avait quelque chose, il avait eu l’intuition que c’était une nécessité de ce temps. En ce qui concerne le problème de la communion pour les personnes remariées, il n’y a pas de problème pour que les personnes divorcées reçoivent la communion, mais quand elles sont remariées, elles ne peuvent pas. Je crois qu’il faut regarder ceci dans la totalité de la pastorale du mariage. Et c’est pour cette raison que c’est un problème.

Mais aussi, entre parenthèses, les orthodoxes ont une pratique différente. Eux, ils suivent la théologie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde possibilité, ils le permettent. Mais je crois que ce problème - je ferme la parenthèse - doit être étudié dans le cadre de la pastorale du mariage.

Et c’est pourquoi, deux choses : en premier, un des thèmes à examiner avec ces huit membres du Conseil des cardinaux, sur lesquels ils se réuniront les 1er, 2 et 3 octobre, est comment avancer dans la pastorale du mariage, et ce problème sortira à ce moment-là.

Et un second point : il y a quinze jours, j’étais avec le secrétaire du synode des évêques, pour le thème du prochain synode. C’était un thème anthropologique, mais en en parlant, en retournant la question dans tous les sens, nous avons vu ce thème anthropologique : comment la foi aide-t-elle la planification de la personne, mais dans la famille, et ensuite, poursuivre avec la pastorale du mariage. Nous sommes en chemin pour une pastorale du mariage un peu profonde. Et c’est le problème de tout le monde, parce qu’il y en a beaucoup, non ?

Par exemple, je ne donne qu’un seul exemple : le cardinal Quarracino, mon prédécesseur [à Buenos Aires, ndlr], disait que selon lui la moitié des mariages étaient nuls. Mais pourquoi disait-il cela ? Parce qu’on se marie sans maturité, on se marie sans se rendre compte que c’est pour toute la vie, ou on se marie parce que, socialement, il faut se marier. Et la pastorale du mariage entre aussi là-dedans.

Et aussi le problème judiciaire de la nullité des mariages, il faut revoir cela, parce que les tribunaux ecclésiastiques ne suffisent pas. C’est complexe, le problème de la pastorale du mariage. Merci.

dimanche 28 juillet 2013

Le Christ prépare un nouveau printemps dans le monde

VOYAGE APOSTOLIQUE A RIO DE JANEIRO (BRESIL) POUR LES 28e JOURNEES MONDIALES DE LA JEUNESSE - Discours du Pape François lors de la cérémonie de congé.

Monsieur le Vice-Président de la République,
Distinguées Autorités nationales, de l’État et locales,
Cher Archevêque de saint Sébastien de Rio de Janeiro, 
Vénérés cardinaux et frères dans l’Épiscopat, 
Chers amis !

Dans quelques instants, je vais quitter votre Patrie pour retourner à Rome. Je pars le cœur rempli d’heureux souvenirs ; et ceux-ci – j’en suis sûr – deviendront prière. En ce moment je commence à ressentir de la nostalgie. Nostalgie du Brésil, ce peuple si grand et au cœur large ; ce peuple si amical. Nostalgie du sourire ouvert et sincère que j’ai vu chez tant de personnes, nostalgie de l’enthousiasme des volontaires. Nostalgie de l’espérance, dans les yeux des jeunes de l’hôpital saint François. Nostalgie de la foi et de la joie au milieu de l’adversité, des résidents de Varginha. J’ai la certitude que le Christ vit et est vraiment présent dans l’agir des innombrables jeunes et de tant de personnes que j’ai rencontrés, au cours de cette semaine inoubliable. Merci pour l’accueil et pour la chaleur de l’amitié qui m’ont été manifestés ! De cela aussi je commence à sentir la nostalgie.


Je remercie en particulier Madame la Présidente de la République, ici représentée par son Vice-Président, pour s’être faite l’interprète des sentiments de tout le peuple du Brésil envers le Successeur de Pierre. Je remercie cordialement mes frères les Évêques et leurs nombreux collaborateurs pour avoir fait de ces jours une magnifique célébration de notre féconde et joyeuse foi en Jésus Christ. Je remercie spécialement Mgr Orani Tempesta, Archevêque de Rio de Janeiro, ses évêques auxiliaires, et Mgr Raymundo Damasceno, Président de la Conférence épiscopale. Je remercie tous ceux qui ont pris part aux célébrations de l’Eucharistie et aux autres événements, à ceux qui les ont organisés, à tous ceux qui ont travaillé pour les diffuser à travers les média. Je remercie enfin toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont su répondre aux exigences de l’accueil et à celles de la gestion d’une telle multitude de jeunes, et sans oublier les nombreuses personnes qui, souvent dans le silence et la simplicité, ont prié pour que ces Journées mondiales de la Jeunesse soient une véritable expérience de croissance dans la foi. Que Dieu récompense chacun, comme lui seul sait le faire.

Dans ce climat de gratitude et de nostalgie, je pense aux jeunes protagonistes de cette grande rencontre : que Dieu vous bénisse pour un si beau témoignage de vivante, profonde et joyeuse participation en ces jours ! Beaucoup d’entre vous sont venus à ce pèlerinage en disciples ; je n’ai aucun doute que, maintenant, tous repartent en missionnaires. Par votre témoignage de joie et de service, faites fleurir la civilisation de l’amour. Démontrez par votre vie qu’il vaut la peine de se dépenser pour les grands idéaux, de valoriser la dignité de tout être humain, et de parier sur le Christ et sur son Évangile. C’est lui que nous sommes venus chercher ces jours-ci, parce que c’est lui qui nous a cherchés en premier, c’est lui qui nous enflamme le cœur pour proclamer la Bonne Nouvelle, dans les grandes villes et dans les petits centres, dans les campagnes et en tout lieu de notre vaste monde. Je continuerai à nourrir une immense espérance dans les jeunes du Brésil et du monde entier : par eux, le Christ prépare un nouveau printemps partout dans le monde. J’ai vu les premiers fruits de ces semailles, d’autres jouiront d’une riche récolte !

Ma dernière impression de nostalgie, ma dernière pensée s’adresse à Nossa Senhora Aparecida. En ce sanctuaire bien-aimé, je me suis agenouillé en prière pour l’humanité tout entière, et en particulier pour tous les Brésiliens. J’ai demandé à Marie de renforcer en vous la foi chrétienne, qui fait partie de la noble âme du Brésil – comme aussi de tant d’autres pays –, trésor de votre culture, encouragement et force pour construire une humanité nouvelle dans la concorde et la solidarité.

Le Pape s’en va et vous dit « à bientôt », un « bientôt » plein de nostalgie, et il vous demande, s’il vous plaît, de ne pas oublier de prier pour lui. Le Pape a besoin de la prière de vous tous. Beaucoup d’affection pour tous. Que Dieu vous bénisse !

Répondre à sa vocation est une marche vers la réalisation heureuse de soi-même

VOYAGE APOSTOLIQUE A RIO DE JANEIRO (BRESIL) POUR LES 28e JOURNEES MONDIALES DE LA JEUNESSE - Discours du Pape François lors de la rencontre avec les volontaires des 28e JMJ.

Très chers volontaires, bonsoir !

Je ne pouvais pas repartir à Rome sans avoir auparavant remercié personnellement et affectueusement chacun de vous pour le travail et pour le dévouement avec lequel vous avez accompagné, aidé, servi les milliers de jeunes pèlerins ; pour les nombreux petits gestes qui ont fait de ces Journées mondiales de la Jeunesse une expérience inoubliable de foi. Par les sourires de chacun de vous, par la gentillesse, par la disponibilité au service, vous avez prouvé qu’« il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).

Le service que vous avez accompli ces jours-ci m’a rappelé la mission de saint Jean-Baptiste, qui a préparé le chemin à Jésus. Chacun, à sa manière, a été un instrument afin que des milliers de jeunes aient « le chemin préparé » pour rencontrer Jésus. Et c’est le service le plus beau que nous puissions accomplir comme disciples missionnaires. Préparer le chemin afin que tous puissent connaître, rencontrer et aimer le Seigneur. À vous qui, en cette période, avez répondu avec promptitude et générosité à l’appel pour être volontaires durant les Journées mondiales de la Jeunesse, je voudrais dire : soyez toujours généreux envers Dieu et envers les autres : on n’y perd rien, au contraire la richesse de vie qu’on en reçoit est grande !

Dieu appelle à des choix définitifs ; il a un projet sur chacun : le découvrir, répondre à sa propre vocation est une marche vers la réalisation heureuse de soi-même. Dieu nous appelle tous à la sainteté, à vivre sa vie, mais il a un chemin pour chacun. Certains sont appelés à se sanctifier en constituant une famille par le Sacrement du mariage. Il y a ceux qui disent qu’aujourd’hui le mariage est « démodé » . Est-ce « démodé » ? [Non...] Dans la culture du provisoire, du relatif, beaucoup prônent que l’important c’est de « jouir » du moment, qu’il ne vaut pas la peine de s’engager pour toute la vie, de faire des choix définitifs, « pour toujours », car on ne sait pas ce que nous réserve demain. Moi, au contraire, je vous demande d’être révolutionnaires, je vous demande d’aller à contre-courant ; oui, en cela je vous demande de vous révolter contre cette culture du provisoire, qui, au fond, croit que vous n’êtes pas en mesure d’assumer vos responsabilités, elle croit que vous n’êtes pas capables d’aimer vraiment. Moi, j’ai confiance en vous, jeunes, et je prie pour vous. Ayez le courage d’« aller à contre-courant ». Et ayez aussi le courage d’être heureux.

Le Seigneur appelle certains au sacerdoce, à se donner à lui de manière plus totale, pour aimer tout le monde avec le cœur du Bon Pasteur. Il appelle d’autres à servir leurs frères et sœurs dans la vie religieuse : dans les monastères en se consacrant à la prière pour le bien du monde, dans divers secteurs de l’apostolat, en se dépensant pour tous, spécialement pour ceux qui sont plus dans le besoin. Moi, je n’oublierai jamais ce 21 septembre-là – j’avais 17 ans – quand, après m’être arrêté dans l’église de San José de Flores pour me confesser, j’ai senti pour la première fois que Dieu m’appelait. N’ayez pas peur de ce que Dieu vous demande ! Ça vaut la peine de dire « oui » à Dieu. En lui, il y a la joie !

Chers jeunes, quelqu’un, peut-être, ne sait pas encore clairement que faire de sa vie. Demandez-le au Seigneur, lui vous fera comprendre le chemin. Comme l’a fait le jeune Samuel qui entendit en lui la voix insistante du Seigneur qui l’appelait, mais ne comprenait pas, ne savait pas que dire et, avec l’aide du prêtre Élie, à la fin, il répondit à cette voix : Parle Seigneur, car je t’écoute (cf. 1 S 3, 1-10). Demandez vous aussi au Seigneur : que veux-tu que je fasse, quel chemin dois-je suivre ?

Chers amis, je vous remercie une fois encore pour ce que vous avez fait ces jours-ci. Je remercie les groupes paroissiaux, les mouvements et les communautés nouvelles qui ont mis leurs membres au service de ces Journées. Merci ! N’oubliez pas tout ce que vous avez vécu ici ! Vous pouvez toujours compter sur mes prières et je sais pouvoir compter sur les vôtres. Une dernière chose : priez pour moi.

L'aujourd'hui est ce qui ressemble le plus à l'éternité

VOYAGE APOSTOLIQUE A RIO DE JANEIRO (BRESIL) POUR LES 28e JOURNEES MONDIALES DE LA JEUNESSE - Discours du Pape François lors de la rencontre avec les évêques responsables du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM).

1.  Introduction

Je remercie le Seigneur pour cette opportunité de pouvoir parler avec vous, frères Évêques, responsables du CELAM pour le quadriennat 2011-2015. Depuis 57 ans, le CELAM est au service des 22 Conférences épiscopales d’Amérique latine et des Caraïbes, collaborant de façon solidaire et subsidiaire pour promouvoir, stimuler et rendre dynamique la collégialité épiscopale et la communion entre les Églises de cette région et ses Pasteurs.

Comme vous, moi aussi je suis témoin de la forte impulsion de l’Esprit dans la Cinquième Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes à Aparecida en mai 2007, qui continue à animer les travaux du CELAM pour le renouveau ardemment désiré des Églises particulières. Dans une bonne partie d’entre elles ce renouveau est déjà en cours. Je voudrais centrer cet entretien sur le patrimoine hérité de cette rencontre fraternelle que tous nous avons baptisée comme Mission continentale.

2.  Caractéristiques propres d’Aparecida

[...] Medellín, Puebla et Saint-Domingue ont commencé leurs travaux avec un parcours de préparation qui a abouti à une espèce d’Instrumentum laboris, avec lequel se développèrent la discussion, la réflexion et l’approbation du document final. Au contraire Aparecida a promu la participation des Églises particulières comme parcours de préparation qui a abouti à un document de synthèse. Ce document, bien qu’il fût de référence durant la Cinquième Conférence générale, ne fut pas adopté comme document de départ. Le travail initial consista dans la mise en commun des préoccupations des Pasteurs devant le changement d’époque et la nécessité de renouveler la vie de disciple et de missionnaire par laquelle le Christ a fondé l’Église.

[...] Il est important de rappeler l’atmosphère de prière suscitée par le partage quotidien de l’Eucharistie et des autres moments liturgiques, où nous fûmes toujours accompagnés du Peuple de Dieu [...]. Dans ce contexte de prière et de vie de foi surgit le désir d’une nouvelle Pentecôte pour l’Église et l’engagement de la Mission continentale. Aparecida ne se termine pas par un Document, mais se prolonge dans la Mission continentale [...].

3.  Dimensions de la Mission continentale

La Mission continentale est pensée en deux dimensions : programmatique et paradigmatique. La mission programmatique, comme l’indique son nom, consiste dans la réalisation d’actes de nature missionnaire. La mission paradigmatique, par contre, implique sous l’angle missionnaire les activités habituelles des Églises particulières. Évidemment, ici on a, comme conséquence, toute une dynamique de réforme des structures ecclésiales. Le « changement des structures » (de caduques à nouvelles) n’est pas le fruit d’une étude sur l’organisation de la structure ecclésiastique fonctionnelle, dont résulterait une réorganisation statique, mais il est une conséquence de la dynamique de la mission. Ce qui fait tomber les structures caduques, ce qui porte à changer les cœurs des chrétiens c’est précisément le fait d’être missionnaire. D’où l’importance de la mission paradigmatique.

La Mission continentale, aussi bien programmatique que paradigmatique exige de susciter la conscience d’une Église qui s’organise pour servir tous les baptisés et les hommes de bonne volonté. Le disciple du Christ n’est pas une personne isolée dans une spiritualité intimiste, mais une personne en communauté pour se donner aux autres. Mission continentale implique par conséquent appartenance ecclésiale.
    
Une organisation comme celle-ci, qui commence par le fait d’être disciple missionnaire et implique de comprendre l’identité du chrétien comme appartenance ecclésiale, demande que nous explicitions quels sont les défis en cours de la dimension missionnaire du fait d’être disciple. Je n’en souligne que deux : le renouveau interne de l’Église et le dialogue avec le monde actuel.

Renouveau interne de l’Église

Aparecida a proposé comme nécessaire la Conversion pastorale. Cette conversion implique de croire dans la Bonne Nouvelle, croire en Jésus Christ porteur du Royaume de Dieu, dans son irruption dans le monde, dans sa présence victorieuse sur le mal, croire dans l’assistance et la conduite de l’Esprit Saint, croire dans l’Église, Corps du Christ et celle qui prolonge le dynamisme de l’Incarnation.
    
En ce sens, il est nécessaire, comme pasteurs, que nous soulevions les interrogations qui font référence aux Églises que nous présidons. Ces questions servent de guide pour examiner l’état des Diocèses dans l’acceptation de l’esprit d’Aparecida, et sont des questions qu’il convient que nous nous posions fréquemment comme examen de conscience.

1.  Faisons-nous en sorte que notre travail et celui de nos prêtres soit plus pastoral qu’administratif ? Qui est le principal bénéficiaire du travail ecclésial, l’Église comme organisation ou le Peuple de Dieu dans sa totalité ?

2.  Dépassons-nous la tentation d’accorder une attention réactive aux problèmes complexes qui surgissent ? Créons-nous une habitude pro-active ? Promouvons-nous des lieux et des occasions pour manifester la miséricorde de Dieu ? Sommes-nous conscients de la responsabilité de reconsidérer les activités pastorales et le fonctionnement des structures ecclésiales, en cherchant le bien des fidèles et de la société ?

3.  Dans la pratique, rendons-nous participants de la Mission les fidèles laïcs ? Offrons-nous la Parole de Dieu et les sacrements avec la claire conscience et la conviction que l’Esprit se manifeste en eux ?

4.  Le discernement pastoral est-il un critère habituel, en nous servant des Conseils diocésains ? Ces Conseils et les Conseils paroissiaux de Pastorale et des Affaires économiques sont-ils des lieux réels pour la participation des laïcs dans la consultation, l’organisation et la planification pastorales ? Le bon fonctionnement des Conseils est déterminant. Je crois que nous sommes très en retard en cela.

5.  Nous, Pasteurs, Évêques et Prêtres, avons-nous la conscience et la conviction de la mission des fidèles et leur donnons-nous la liberté pour qu’ils discernent, conformément à leur chemin de disciples, la mission que le Seigneur leur confie ? Les soutenons-nous et les accompagnons-nous, en dépassant toute tentation de manipulation ou de soumission indue ? Sommes-nous toujours ouverts à nous laisser interpeller dans la recherche du bien de l’Église et de sa Mission dans le monde ?

6.  Les agents pastoraux et les fidèles en général se sentent-ils partie de l’Église, s’identifient-ils avec elle et la rendent-ils proche aux baptisés distants et éloignés ?

Comme on peut le comprendre, ici sont en jeu des attitudes. La conversion pastorale concerne principalement les attitudes et une réforme de vie. Un changement d’attitude est forcément dynamique : « on entre dans un processus » et on peut seulement le canaliser en l’accompagnant et en discernant. Il est important d’avoir toujours présent à l’esprit que la boussole pour ne pas se perdre sur ce chemin est celle de l’identité catholique comprise comme appartenance ecclésiale.

Dialogue avec le monde actuel

Il est bon de rappeler la parole du Concile Vatican II : Les joies et les espérances, les tristesses et les angoisses des hommes de notre temps, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, sont à leur tour, joies et espérances, tristesses et angoisses des disciples du Christ (cf. Const. Gaudium et spesn. 1). C’est là que se trouve la base du dialogue avec le monde actuel.        

La réponse aux questions existentielles de l’homme d’aujourd’hui, spécialement des nouvelles générations, en prêtant attention à leur langage, comporte un changement fécond qu’il faut parcourir avec l’aide de l’Évangile, du Magistère et de la Doctrine sociale de l’Église. Les paysages et les aréopages sont les plus variés. Par exemple, dans une même ville, existent différents imaginaires collectifs qui configurent "différentes villes". Si nous restons seulement dans les paramètres de "la culture de toujours", au fond une culture de base rurale, le résultat sera finalement l’annulation de la force de l’Esprit Saint. Dieu est partie : il faut savoir le découvrir pour pouvoir l’annoncer dans les idiomes de chaque culture ; et chaque réalité, chaque langue, a un rythme différent.

4. Quelques tentations du disciple missionnaire

L’option missionnaire du disciple sera soumise à des tentations. Il est important de savoir comprendre la stratégie de l’esprit mauvais pour nous aider dans le discernement. Il ne s’agit pas de sortir pour chasser les démons, mais seulement de lucidité et de ruse évangélique. Je mentionne seulement quelques attitudes qui configurent une Église "tentée". Il s’agit de connaître certaines propositions actuelles qui peuvent se dissimuler dans la dynamique du disciple missionnaire et arrêter, jusqu’à le faire échouer, le processus de conversion pastorale.

1. L’idéologisation du message évangélique. Il y a une tentation qui s’est rencontrée dans l’Église dès l’origine : chercher une herméneutique d’interprétation évangélique en dehors du message de l’Évangile lui-même et en dehors de l’Église. Un exemple : Aparecida, à un certain moment, a connu cette tentation sous forme d « asepsie ». On a utilisé, et c’est bien, la méthode du « voir, juger, agir » (Cf. n. 19). La tentation résidait dans le fait de choisir un « voir » totalement aseptique, un « voir » neutre, lequel est irréalisable. Le voir est toujours influencé par le regard. Il n’y a pas d’herméneutique aseptisée. La demande était alors : avec quel regard voyons-nous la réalité ? Aparecida a répondu : avec le regard du disciple. C’est ainsi que se comprennent les n. 20 à 32. Il y a d’autres manières d’idéologiser le message et, actuellement, apparaissent en Amérique Latine et dans les Caraïbes des propositions de cette nature. J’en mentionne seulement quelques unes :

a) La réduction socialisante. C’est l’idéologisation la plus facile à découvrir. A certains moments elle a été très forte. Il s’agit d’une prétention interprétative sur la base d’une herméneutique selon les sciences sociales. Elle recouvre les champs les plus variés : du libéralisme de marché aux catégories marxistes.

b) L’idéologisation psychologique. Il s’agit d’une herméneutique élitiste qui, en définitive, réduit la « rencontre avec Jésus-Christ », et son développement ultérieur, à une dynamique d’auto-connaissance. On la rencontre habituellement dans les cours de spiritualité, les retraites spirituelles, etc. Il finit par en résulter un comportement immanent autoréférentiel. On ne sent pas de transcendance, ni par conséquent, de comportement missionnaire.

c) La proposition gnostique. Assez liée à la tentation précédente. On la rencontre habituellement dans des groupes d’élites faisant la proposition d’une spiritualité supérieure, assez désincarnée, et qui conduit à faire de « questions disputées » des attitudes pastorales. Ce fut la première déviation de la communauté primitive, et elle est réapparue, au cours de l’histoire de l’Église, sous des versions revues et corrigées. On les appelle vulgairement « catholiques des Lumières » (parce qu’ils sont héritiers de la culture des Lumières).

d) La proposition pélagienne. Elle apparait fondamentalement sous la forme d’une restauration. Devant les maux de l’Église, on cherche une solution seulement disciplinaire, par la restauration de conduites et des formes dépassées qui n’ont pas même culturellement la capacité d’être significatives. En Amérique Latine, on la rencontre dans des petits groupes, dans quelques Congrégations religieuses nouvelles qui recherchent de manière exagérée une « sécurité » doctrinale ou disciplinaire. Elle est fondamentalement statique, même si elle promet une dynamique ad intra, qui retourne en arrière. Elle cherche à « récupérer » le passé perdu.

2. Le fonctionnalisme. Son action dans l’Église est paralysante. Il s’enthousiasme davantage pour la « feuille de route du chemin » que pour la réalité du chemin. La conception fonctionnaliste n’accepte pas le mystère, elle regard à l’efficacité. Elle réduit la réalité de l’Église à la structure d’une ONG. Ce qui importe c’est le résultat constatable et les statistiques. De là on va à toutes les manières d’entrepreneurs de l’Église. Elle constitue une sorte de « théologie de la prospérité » dans l’organisation de la Pastorale.

3. Le cléricalisme est aussi une tentation très actuelle en Amérique Latine. Curieusement, dans la majorité des cas, il s’il agit d’une complicité pécheresse : le curé cléricalise, et le laïc lui demande à être cléricalisé, parce que c’est finalement plus facile pour lui. Le phénomène du cléricalisme explique, en grande partie, le manque de maturité et de liberté chrétienne dans une part du laïcat latino-américain. Ou bien il ne grandit pas (la majorité), ou bien il se blottit sous les couvertures des idéologisations, dont nous avons parlé, ou dans des appartenances partielles et limitées. Il existe, dans nos régions une forme de liberté des laïcs à travers des expériences de peuple : le catholique comme peuple. Ici on voit une plus grande autonomie, saine en général, qui s’exprime fondamentalement dans la piété populaire. Le chapitre d’Aparecida sur la piété populaire décrit en profondeur cette dimension. La proposition des groupes bibliques, des communautés ecclésiales de base et des conseils pastoraux vont dans le sens d’un dépassement du cléricalisme et d’une croissance de la responsabilité des laïcs.

Nous pourrions continuer en décrivant quelques autres tentations contre la condition de disciple missionnaire, mais je crois que celles-ci sont les plus importantes et ont la plus grande force en ce moment en Amérique Latine et dans las Caraïbes.

5. Quelques critères ecclésiologiques

1. La condition de disciple missionnaire qu’Aparecida propose aux Églises d’Amérique Latine et des Caraïbes est le chemin que Dieu veut pour « aujourd’hui ». Toute projection utopique (vers le futur) comme toute restauration (vers le passé) ne sont pas de l’esprit bon. Dieu est réel et se manifeste dans l’ « aujourd’hui ». Vers le passé, sa présence se donne à nous comme « mémoire » de la grande œuvre du salut aussi bien dans son peuple, qu’en chacun de nous ; vers le futur elle se donne à nous comme « promesse » et espérance. Dans le passé Dieu a été présent et a laissé ses traces : la mémoire nous aide à le rencontrer. Dans le futur il est seulement promesse… et il n’est pas mille et un « futuribles ». L’« aujourd’hui » est ce qui ressemble le plus à l’éternité ; mieux encore : l’ « aujourd’hui » est étincelle d’éternité. Dans l’« aujourd’hui » se joue la vie éternelle.

La condition de disciple missionnaire est vocation : appel et invitation. Elle a lieu dans un « aujourd’hui » mais « en tension ». Il n’existe pas de condition de disciple missionnaire statique. Le disciple missionnaire ne peut pas se posséder lui-même, son immanence est en tension vers la transcendance de la condition de disciple et vers la transcendance de la mission. Elle n’admet pas l’auto-référentialité : ou elle se réfère à Jésus-Christ, ou elle se réfère au peuple auquel elle doit annoncer. Sujet qui se dépasse. Sujet projeté vers la rencontre : la rencontre avec le Maître (qui nous fait disciples) et la rencontre avec les hommes qui attendent l’annonce.

C’est pourquoi j’aime dire que la position du disciple missionnaire n’est pas une position de centre mais de périphéries : il vit en tension vers les périphéries… y compris celles de l’éternité dans la rencontre avec Jésus Christ. Dans l’annonce évangélique, parler de « périphéries existentielles » décentre et nous avons habituellement peur de quitter le centre. Le disciple missionnaire est un « décentré » : le centre est Jésus Christ, qui convoque et envoie. Le disciple est envoyé aux périphéries existentielles.

2. L’Église est institution, mais quand elle s’érige en « centre », elle tombe dans le fonctionnalisme et, peu à peu, elle se transforme en une ONG. L’Église prétend alors avoir sa propre lumière et cesse d’être ce « misterium lunae » dont nous parlent les saints Pères (de l’Église). Elle devient de plus en plus autoréférentielle et sa nécessité d’être missionnaire s’affaiblit. D’« Institution » elle se transforme en « Œuvre ». Elle cesse d’être Épouse et finit par être Administratrice ; de Servante elle se transforme en « Contrôleuse ». Aparecida veut une Église Épouse, Mère, Servante, une Église qui facilite la foi et non pas une Église qui la contrôle.

3. à Aparecida, on a de manière importante deux catégories pastorales qui émergent de l’originalité même de l’Évangile et qui peuvent aussi nous servir de critère pour évaluer comment nous vivons de manière ecclésiale en disciples missionnaires : la proximité et la rencontre. Aucune des deux n’est nouvelle, mais elles constituent la modalité par laquelle Dieu s’est révélé dans l’histoire. Il est le « Dieu proche » de son peuple, une proximité qui atteint son sommet dans l’incarnation. Il est le Dieu qui sort à la rencontre de son peuple. En Amérique Latine et dans les Caraïbes il y a des pastorales « éloignées », des pastorales disciplinaires qui privilégient les principes, les conduites, les procédures organisatrices…. évidemment sans proximité, sans tendresse, sans caresse. On ignore la « révolution de la tendresse » qui provoqua l’incarnation du Verbe. Il y a des pastorales organisées avec une telle dose de distance qu’elles sont incapables d’arriver à la rencontre : rencontre avec Jésus Christ, rencontre avec les frères. De ce type de pastorales, on peut attendre au maximum une dimension de prosélytisme, mais elles ne conduisent jamais ni à l’insertion ecclésiale, ni à l’appartenance ecclésiale. La proximité crée communion et appartenance, rend possible la rencontre. La proximité acquiert des formes de dialogue et crée une culture de la rencontre. L’homélie est une pierre de touche pour calibrer la proximité et la capacité de rencontre d’une pastorale. Comment sont nos homélies ? Sont-elles proches de l’exemple de notre Seigneur, qui « parlait avec autorité » ou sont-elles simplement théoriques, éloignées, abstraites ?

4. Celui qui conduit la pastorale, la Mission continentale (aussi bien programmatique que paradigmatique), est l’Évêque. L’Évêque doit conduire, ce qui n’est pas la même chose que se comporter en maître. Outre à souligner les grandes figures de l’épiscopat latino-américain que nous connaissons tous, je désire ajouter ici certaines lignes sur le profil de l’évêque que j’ai déjà dites aux Nonces dans la réunion que nous avons eu à Rome. Les évêques doivent être pasteurs, proches des gens, pères et frères, avec beaucoup de mansuétude ; patients et miséricordieux. Hommes qui aiment la pauvreté, aussi bien la pauvreté intérieure comme liberté devant le Seigneur, que la pauvreté extérieure comme simplicité et austérité de vie. Hommes qui n’aient pas la « psychologie des princes ». Hommes qui ne soient pas ambitieux mais qui soient époux d’une Église locale sans être dans l’attente d’une autre. Hommes capables de veiller sur le troupeau qui leur a été confié et d’avoir soin de tout ce qui le tient uni : veiller sur leur peuple avec attention, sur les éventuels dangers qui le menacent, mais surtout pour faire grandir l’espérance : qu’ils aient du soleil et de la lumière dans leurs cœurs. Hommes capables de soutenir avec amour et patience les pas de Dieu au milieu de son peuple. Et la place de l’Évêque pour être avec son peuple est triple : ou devant pour indiquer le chemin, ou au milieu pour le maintenir uni et neutraliser les dispersions, ou en arrière pour éviter que personne ne reste derrière, mais aussi, et fondamentalement, parce que le troupeau même ait son propre flair pour trouver de nouvelles routes.

Je ne voudrais pas abonder en d’autres détails sur la personne de l’Évêque, mais simplement ajouter, en m’incluant dans cette affirmation, que nous sommes un peu en retard en ce qui concerne la Conversion pastorale. Il est opportun que nous nous aidions un peu plus à faire les pas que le Seigneur veut pour nous dans cet « aujourd’hui » de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Et il serait bien de commencer par là.

Je vous remercie d’avoir été patients dans l’écoute. Pardonnez le désordre de mon discours et, s’il vous plaît, je vous demande : que nous prenions avec sérieux notre vocation de serviteurs du saint Peuple fidèle de Dieu, car c’est en ceci que s’exerce et se montre l’autorité : dans la capacité de service. Merci beaucoup !