mardi 31 décembre 2013

L’histoire n’est pas cyclique, mais linéaire

Homélie du Pape François pour le dernier jour de l'année, à l'occasion de premières vêpres de la solennité de Marie, Mère de Dieu.


L’apôtre Jean définit le temps présent avec précision : « La dernière heure est arrivée » (1 Jn 2, 18). Cette affirmation — qui revient dans la messe du 31 décembre — veut signifier qu’avec la venue de Dieu dans l’histoire, nous sommes déjà dans les « derniers » temps, après quoi, le passage final sera la seconde venue définitive du Christ. Naturellement, on parle ici de la qualité du temps, pas de sa quantité. Avec Jésus la « plénitude » du temps est arrivée, plénitude de sens et plénitude de salut. Il n’y aura plus de nouvelle révélation, mais la manifestation plénière de ce que Jésus a déjà révélé. C’est dans ce sens que nous sommes dans la « dernière heure » ; chaque moment de notre vie n’est pas provisoire, mais définitif et chacune de nos actions est chargée d’éternité ; de fait, la réponse que nous donnons aujourd’hui à Dieu qui nous aime en Jésus Christ, a une incidence sur notre avenir.

La vision biblique et chrétienne du temps et de l’histoire n’est pas cyclique, mais linéaire : c’est un chemin qui va vers un accomplissement. Une année qui est passée ne nous conduit donc pas à une réalité qui finit, mais à une réalité qui s’accomplit, c’est un pas supplémentaire vers le but qui est devant nous : un but d’espérance et un but de bonheur, parce que nous rencontrerons Dieu, la raison de notre espérance et la source de notre joie.

Tandis que l’année 2013 arrive à son terme, recueillons comme dans une corbeille les jours, les semaines, les mois que nous avons vécus pour tout offrir au Seigneur. Et demandons-nous, courageusement : comment avons-nous vécu le temps qu’Il nous a donné ? L’avons-nous utilisé surtout pour nous-mêmes, pour nos intérêts, ou avons-nous su le dépenser aussi pour les autres ? Combien de temps avons-nous réservé pour être avec Dieu, dans la prière, dans le silence, dans l’adoration ?

Et pensons ensuite, nous citoyens romains, à cette ville de Rome. Que s’est-il passé cette année ? Que se passe-t-il et que se passera-t-il ? Quelle est la qualité de la vie dans cette ville ? Cela dépend de nous tous ! Quelle est la qualité de notre « citoyenneté » ? Cette année, avons-nous contribué, à notre mesure, à la rendre plus vivable, ordonnée, accueillante ? De fait, le visage d’une ville est comme une mosaïque dont les tesselles sont tous ceux qui y habitent. Assurément, qui est investi d’une autorité a une responsabilité majeure, mais chacun est coresponsable, dans le bien et dans le mal.

Rome est une ville d’une beauté unique. Son patrimoine spirituel et culturel est extraordinaire. Et pourtant, à Rome aussi de nombreuses personnes sont marquées par des misères matérielles et morales, des personnes pauvres, malheureuses, qui souffrent, qui interpellent la conscience de chaque citoyen. À Rome, on ressent peut-être de façon plus forte ce contraste entre l’environnement majestueux et riche de beauté artistique, et le malaise social de ceux qui ont des difficultés.

Rome est une ville pleine de touristes, mais aussi pleine de réfugiés. Rome est pleine de gens qui travaillent, mais aussi, de personnes qui ne trouvent pas de travail ou effectuent des travaux sous-payés et parfois indignes, et tous ont le droit d’être traités avec la même attitude d’accueil et d’équité, parce que chacun est porteur de la dignité humaine.

C’est le dernier jour de l’année. Que ferons-nous, comment agirons-nous l’an prochain, pour rendre notre ville un peu meilleure ? La Rome de l’année nouvelle aura un visage encore plus beau si elle est encore plus riche en humanité, en hospitalité, en accueil, si nous sommes tous attentifs et généreux envers ceux qui se trouvent en difficulté, si nous savons collaborer avec un esprit constructif et solidaire pour le bien de tous. La Rome de l’année nouvelle sera meilleure si personne ne la regarde « de loin », comme une carte postale, ne regarde sa vie uniquement « du balcon », sans s’impliquer dans les nombreux problèmes humains, des problèmes d’hommes et de femmes qui, à la fin… et depuis le début, que nous le voulions ou non, sont nos frères. Dans cette perspective, l’Église de Rome se sent le devoir d’apporter sa contribution à la vie et à l’avenir de la ville — mais c’est son devoir ! —, elle se sent engagée à l’animer grâce au ferment de l’Évangile, à être un signe et un instrument de la miséricorde de Dieu.

Ce soir, nous concluons l’Année du Seigneur 2013 en lui rendant grâce et en demandant pardon, les deux choses ensemble, remercier et demander pardon. Rendons grâce pour tous les bienfaits que Dieu a accordés, et surtout pour sa patience et pour sa fidélité, qui se manifestent au cours des temps, mais de façon singulière lors de la plénitude des temps, quand « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme » (Ga 4, 4). Que la Mère de Dieu, au nom de laquelle nous commencerons demain une nouvelle étape de notre pèlerinage terrestre, nous enseigne à accueillir le Dieu fait homme, afin que chaque année chaque mois, chaque jour soit plein de son Amour éternel. Ainsi soit-il !

dimanche 29 décembre 2013

Vivre dans la paix et la joie en famille

Allocution du pape François avant l’Angelus

Chers frères et sœurs, bonjour !

En ce premier dimanche après Noël, la liturgie nous invite à célébrer la fête de la Sainte Famille de Nazareth. De fait, chaque crèche nous montre Jésus avec la Madone et saint Joseph, dans la grotte de Bethléem. Dieu a voulu naître dans une famille humaine, il a voulu avoir une mère et un père, comme nous !

Et aujourd’hui l’Evangile nous présente la Sainte Famille sur le chemin douloureux de l’exil, à la recherche d’un refuge en Egypte. Joseph, Marie et Jésus font l’expérience de la situation dramatique des réfugiés, marquée par la peur, l’incertitude, les désagréments (cf. Mt 2,13-15.19-23). Hélas, de nos jours, des millions de familles peuvent se reconnaître dans cette triste réalité. La télévision et les journaux donnent presque chaque jour des nouvelles de réfugiés qui fuient la faim, la guerre, d’autres graves dangers, à la recherche de la sécurité, et d’une vie digne pour eux et pour leurs familles.

Même lorsqu’ils trouvent du travail, dans des terres lointaines, les immigrés et les réfugiés ne trouvent pas toujours un vrai accueil, le respect, et les valeurs dont ils sont porteurs ne sont pas appréciées. Leurs attentes légitimes se heurtent à des situations complexes et les difficultés qui semblent parfois insurmontables.

C’est pourquoi, en tournant notre regard vers la Sainte Famille de Nazareth, au moment où elle est contrainte à devenir réfugiée, pensons au drame de ces migrants et de ces réfugiés qui sont victimes du rejet et de l’exploitation, qui sont victimes de la traite des personnes et du travail forcé.

Mais pensons aussi aux autres « exilés », je les appellerais les « exilés cachés », ces exilés qui peuvent se trouver à l’intérieur même des familles : les personnes âgées, par exemple, qui sont parfois traitées comme des présences encombrantes. Je pense souvent qu’un signe pour savoir comment une famille se porte est la façon dont on y traite les enfants et les personnes âgées.

Jésus a voulu appartenir à une famille qui ait fait l’expérience de ces difficultés, afin que personne ne se sente exclu de la proximité amoureuse de Dieu. La fuite en Egypte à cause des menaces d’Hérode nous montre que Dieu est là où l’homme est en danger, là où l’homme souffre, là où il s’enfuit, là où il fait l’expérience du rejet et de l’abandon. Mais Dieu est aussi là où l’homme rêve, espère rentrer dans sa patrie en toute liberté, fait des projets et fait des choix pour sa vie et sa dignité, la sienne et celle de sa famille.

Aujourd’hui, notre regard sur la Sainte Famille se laisse aussi attirer par la simplicité de la vie qu’elle a menée à Nazareth.

C’est un exemple qui fait tellement de bien à nos familles, les aide à devenir toujours plus une communauté d’amour et de réconciliation, où l’on fait l’expérience de la tendresse, de l’aide mutuelle, du pardon réciproque.

Rappelons les trois mots-clefs pour vivre dans la paix et dans la joie en famille : s’il te plaît, merci, pardon. Quand, dans une famille, on n’est pas intrusif et que l’on demande « s’il te plaît », quand, dans une famille, on n’est pas égoïste et que l’on apprend à dire « merci », et quand, dans une famille, quelqu’un s’aperçoit qu’il a fait quelque chose de mal et sait demander « pardon », dans cette famille il y a la paix et la joie. Souvenons-nous de ces trois mots. Mais on peut les répéter tous ensemble : s’il te plaît, merci, pardon. Tous : « s’il te plaît, merci, pardon » !

Je voudrais aussi encourager les familles à prendre conscience de l’importance qu’elles ont dans l’Eglise et dans la société. De fait, l’annonce de l’Evangile passe avant tout par les familles, pour ensuite atteindre différents milieux de la vie quotidienne.

Invoquons avec ferveur Marie la très sainte, la Mère de Jésus et notre Mère, et saint Joseph, son époux. Demandons-leur d’éclairer, de réconforter, de guider chaque famille du monde pour qu’elle puisse accomplir avec dignité et sérénité la mission que Dieu lui a confiée.

Allocution et prière du pape après l’Angelus

Chers frères et sœurs,

Le prochain consistoire et le prochain synode des évêques aborderont le thème de la famille, et la phase de préparation a déjà commencé il y a un moment. C’est pourquoi aujourd’hui, en la fête de la Sainte Famille, je désire confier à Jésus, Marie et Joseph ce travail synodal en priant pour les familles du monde entier. Je vous invite à vous unir à moi spirituellement dans cette prière que je fais maintenant :

     Jésus, Marie et Joseph
en vous nous contemplons
la splendeur de l’amour véritable,
à vous nous nous adressons avec confiance.
     Sainte Famille de Nazareth,
fais aussi de nos familles
des lieux de communion et des cénacles de prière,
des écoles authentiques de l’Évangile
et des petites Églises domestiques.
     Sainte Famille de Nazareth,
que jamais plus dans les familles on ne fasse l’expérience
de la violence, de la fermeture et de la division :
que quiconque a été blessé ou scandalisé
connaisse rapidement consolation et guérison.
     Sainte Famille de Nazareth,
que le prochain Synode des Évêques
puisse réveiller en tous la conscience
du caractère sacré et inviolable de la famille,
de sa beauté dans le projet de Dieu.
     Jésus, Marie et Joseph
écoutez-nous, exaucez notre prière. Amen.

Je salue spécialement les fidèles qui sont en liaison avec nous de Nazareth, en la basilique de l’Annonciation, où s’est rendu le secrétaire général du synode des évêques, de Barcelone, en la basilique de la Sagrada Familia, où s’est rendu le président du Conseil pontifical pour la famille, de Lorette, en la basilique du sanctuaire de la Sainte Maison.

Et je salue aussi ceux qui sont rassemblés dans différentes régions du monde pour d’autres célébrations dont les familles sont les protagonistes, comme celle de Madrid.

Je salue enfin avec affection tous les pèlerins ici présents, spécialement les familles ! Je sais qu’il y a celles de la communauté roumaine de Rome.

Je salue les jeunes du Mouvement des Focolari, venus de différents pays, et tous les autres jeunes, dont les groupes des diocèses de Milan, Côme, Lodi, Padoue, Vicence, et Concordia-Pordenone.

Je salue les adolescents de Curno et Calcinate et leurs catéchistes ; les fidèles de Salcedo, Carzago Riviera, San Giovanni in Persiceto et Modica.

Je vous souhaite à tous une belle fête de la Sainte Famille, un beau et bon dimanche, et un bon déjeuner. Au revoir !

jeudi 26 décembre 2013

Jésus transforme la mort de ceux qui l’aiment en aurore d’une vie nouvelle

Paroles du Pape avant l'Angelus.

Chers frères et sœurs, bonjour !

Vous n’avez pas peur de la pluie, vous êtes courageux !

La liturgie prolonge la solennité de Noël pendant huit jours : c’est un temps de joie pour tout le peuple de Dieu ! Et en ce deuxième jour de l’octave, dans la joie de Noël, s’insère la fête de saint Étienne, premier martyr de l’Église. Le livre des Actes des apôtres nous le présente comme « un homme rempli de foi et d’Esprit Saint » (6, 5), choisi avec six autres pour le service des veuves et des pauvres dans la première communauté de Jérusalem. Et il nous raconte son martyre lorsque, après un discours enflammé qui suscita la colère des membres du Sanhédrin, il fut traîné hors des murs de la ville et lapidé. Etienne mourut comme Jésus, en demandant le pardon pour ceux qui le tuaient (7, 55-60).

Dans l’atmosphère joyeuse de Noël, cette commémoration pourrait nous paraître déplacée. En effet, Noël est la fête de la vie, qui nous inspire des sentiments de sérénité et de paix : pourquoi troubler cet enchantement par le souvenir d’une violence aussi atroce ? En réalité, dans l’optique de la foi, la fête de saint Étienne est en parfaite harmonie avec la signification profonde de Noël. En effet, dans le martyre, la violence est vaincue par l’amour, la mort par la vie. L’Église voit dans le sacrifice des martyrs leur « naissance au ciel ». Nous célébrons donc aujourd’hui le « noël » d’Étienne, qui jaillit en profondeur du Noël du Christ. Jésus transforme la mort de ceux qui l’aiment en aurore d’une vie nouvelle!

Dans le martyre d’Étienne se reproduit la même confrontation entre le bien et le mal, entre la haine et le pardon, entre la douceur et la violence que celle qui a culminé dans la Croix du Christ. La mémoire du premier martyre vient ainsi, immédiatement, détruire une fausse image de Noël : une image de conte de fée et doucereuse qui n’existe pas dans l’Évangile ! La liturgie nous ramène à la signification authentique de l’Incarnation, en reliant Bethléem au Calvaire et en nous rappelant que le salut divin implique la lutte contre le péché et passe par la porte étroite de la Croix. C’est la route que Jésus a clairement indiquée à ses disciples, comme l’atteste l’Évangile de ce jour : « Vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé » (Mt 10, 22).

C’est pourquoi nous prions aujourd’hui de manière particulière pour les chrétiens qui subissent des discriminations à cause du témoignage qu’ils rendent au Christ et à l’Évangile. Nous sommes proches de ces frères et sœurs qui, comme saint Étienne, sont accusés injustement et deviennent l’objet de toutes sortes de violences. Je suis certain que, malheureusement, ils sont plus nombreux aujourd’hui que dans les premiers temps de l’Église. Il y en a tellement ! Cela arrive surtout là où la liberté religieuse n’est pas encore garantie ou n’est pas pleinement réalisée. Mais cela arrive aussi dans des pays et des milieux où, sur le papier, on protège la liberté et les droits humains, mais où en fait les croyants et spécialement les chrétiens rencontrent des limitations et des discriminations. Je voudrais vous demander de prier pour ces frères et sœurs, en silence, un moment. [...] Et nous les confions à la Vierge (Je vous salue Marie...). Le chrétien ne s’en étonne pas, parce que Jésus l’a annoncé comme une occasion propice pour rendre témoignage. Cependant, sur le plan civil, l’injustice doit être dénoncée et éliminée.

Que Marie, Reine des martyrs, nous aide à vivre Noël avec l’ardeur de la foi et de l’amour qui rayonne en saint Étienne et dans tous les martyrs de l’Église.

"Il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu"

Message du Pape François pour le Carême 2014.

Chers frères et sœurs,

Je voudrais vous offrir, à l’occasion du Carême, quelques réflexions qui puissent vous aider dans un chemin personnel et communautaire de conversion. Je m’inspirerai de la formule de Saint Paul : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). L’Apôtre s’adresse aux chrétiens de Corinthe pour les encourager à être généreux vis-à-vis des fidèles de Jérusalem qui étaient dans le besoin. Que nous disent-elles, ces paroles de saint Paul, à nous chrétiens d’aujourd’hui ? Que signifie, pour nous aujourd’hui, cette exhortation à la pauvreté, à une vie pauvre dans un sens évangélique ?

La grâce du Christ

Ces paroles nous disent avant tout quel est le style de Dieu. Dieu ne se révèle pas par les moyens de la puissance et de la richesse du monde, mais par ceux de la faiblesse et la pauvreté : « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous … ». Le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui est l’égal du Père en puissance et en gloire, s’est fait pauvre ; il est descendu parmi nous, il s’est fait proche de chacun de nous, il s’est dépouillé, « vidé », pour nous devenir semblable en tout (cf. Ph 2, 7 ; He 4, 15). Quel grand mystère que celui de l’Incarnation de Dieu ! C’est l’amour divin qui en est la cause, un amour qui est grâce, générosité, désir d’être proche et qui n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien-aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. C’est ce qu’a fait Dieu pour nous. Jésus en effet, « a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, n. 22 § 2).

La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais, – dit saint Paul – [pour que] « …vous deveniez riches par sa pauvreté ». Il ne s’agit pas d’un jeu de mots, ni d’une figure de style ! Il s’agit au contraire d’une synthèse de la logique de Dieu, de la logique de l’amour, de la logique de l’Incarnation et de la Croix. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Ce n’est pas cela l’amour du Christ ! Lorsque Jésus descend dans les eaux du Jourdain et se fait baptiser par Jean Baptiste, il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu des gens, de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Voilà la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère. Nous sommes frappés par le fait que l’Apôtre nous dise que nous avons été libérés, non pas grâce à la richesse du Christ, mais par sa pauvreté. Pourtant saint Paul connaît bien « la richesse insondable du Christ » (Ep 3, 8) « établi héritier de toutes choses » (He 1, 2).

Alors quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route (cf. Lc 10, 25ss). Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment, en cherchant toujours et seulement la volonté et la gloire du Père. Il est riche comme est riche un enfant qui se sent aimé et qui aime ses parents et ne doute pas un seul instant de leur amour et de leur tendresse. La richesse de Jésus, c’est d’être le Fils ; sa relation unique avec le Père est la prérogative souveraine de ce Messie pauvre. Lorsque Jésus nous invite à porter son « joug qui est doux », il nous invite à nous enrichir de cette « riche pauvreté » et de cette « pauvre richesse » qui sont les siennes, à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né (cf. Rm 8, 29).

On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (L. Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ.

Notre témoignage

Nous pourrions penser que cette « voie » de la pauvreté s’est limitée à Jésus, et que nous, qui venons après Lui, pouvons sauver le monde avec des moyens humains plus adéquats. Il n’en est rien. À chaque époque et dans chaque lieu, Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres. La richesse de Dieu ne peut nous rejoindre à travers notre richesse, mais toujours et seulement à travers notre pauvreté personnelle et communautaire, vivifiée par l’Esprit du Christ.

À l’exemple de notre Maître, nous les chrétiens, nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager. La misère ne coïncide pas avec la pauvreté ; la misère est la pauvreté sans confiance, sans solidarité, sans espérance. Nous pouvons distinguer trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. 

La misère matérielle est celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine : ceux qui sont privés des droits fondamentaux et des biens de première nécessité comme la nourriture, l’eau et les conditions d’hygiène, le travail, la possibilité de se développer et de croître culturellement. Face à cette misère, l’Église offre son service, sa diakonia, pour répondre aux besoins et soigner ces plaies qui enlaidissent le visage de l’humanité. Nous voyons dans les pauvres et les laissés-pour-compte le visage du Christ ; en aimant et en aidant les pauvres nous aimons et nous servons le Christ. Notre engagement nous pousse aussi à faire en sorte que, dans le monde, cessent les atteintes à la dignité humaine, les discriminations et les abus qui sont si souvent à l’origine de la misère. Lorsque le pouvoir, le luxe et l’argent deviennent des idoles, ils prennent le pas sur l’exigence d’une distribution équitable des richesses. C’est pourquoi il est nécessaire que les consciences se convertissent à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage.

La misère morale n’est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l’angoisse parce que quelques-uns de leurs membres – souvent des jeunes – sont dépendants de l’alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l’avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l’absence d’égalité dans les droits à l’éducation et à la santé. Dans ces cas, la misère morale peut bien s’appeler début de suicide. Cette forme de misère qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la misère spirituelle qui nous frappe, lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l’échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment.

L’Évangile est l’antidote véritable contre la misère spirituelle : le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et qu’il nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance ! Il est beau d’expérimenter la joie de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été confié pour consoler les cœurs brisés et donner l’espérance à tant de frères et de sœurs qui sont entourés de ténèbres. Il s’agit de suivre et d’imiter Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé à la recherche de la brebis perdue, et il y est allé avec tout son amour. Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins d’évangélisation et de promotion humaine.

Chers frères et sœurs, que ce temps de Carême trouve toute l’Église disposée et prête à témoigner du message évangélique à tous ceux qui sont dans la misère matérielle, morale et spirituelle ; message qui se résume dans l’annonce de l’amour du Père miséricordieux, prêt à embrasser toute personne, dans le Christ. Nous ne pourrons le faire que dans la mesure où nous serons conformés au Christ, Lui qui s’est fait pauvre et qui nous a enrichi par sa pauvreté. Le Carême est un temps propice pour se dépouiller ; et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver, afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté. N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand chose. Je me méfie de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.

Que l’Esprit Saint, grâce auquel nous « [sommes] pauvres, et nous faisons tant de riches ; démunis de tout, et nous possédons tout » (2 Co 6, 10), nous soutienne dans nos bonnes intentions et renforce en nous l’attention et la responsabilité vis-à-vis de la misère humaine, pour que nous devenions miséricordieux et artisans de miséricorde. Avec ce souhait je vous assure de ma prière, afin que tout croyant et toute communauté ecclésiale puisse parcourir avec profit ce chemin de Carême. Je vous demande également de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde.

Du Vatican, le 26 décembre 2013
Fête de Saint Étienne, diacre et protomartyr

mercredi 25 décembre 2013

Bénédiction Urbi et Orbi - Noël 2013

Nous avons besoin des caresses de Dieu

Message de Noël Urbi et Orbi.

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes qu’il aime » (Lc 2,14)
Chers frères et sœurs de Rome et du monde entier, bonjour et joyeux Noël !

Je fais mien le chant des anges, qui apparurent aux bergers de Bethléem dans la nuit où naquit Jésus. Un chant qui unit ciel et terre, adressant au ciel la louange et la gloire, et à la terre des hommes le vœu de paix. 

Je vous invite tous à vous unir à ce chant : ce chant est pour chaque homme et pour chaque femme qui veille dans la nuit, qui espère un monde meilleur, qui prend soin des autres en cherchant à faire humblement son devoir.

Gloire à Dieu !

Noël nous appelle à cela avant tout : à rendre gloire à Dieu, parce qu’il est bon, il est fidèle, il est miséricordieux. En ce jour, je souhaite à tous de reconnaître le vrai visage de Dieu, le Père qui nous a donné Jésus. Je souhaite à tous de sentir que Dieu est proche, de demeurer en sa présence, de l’aimer, de l’adorer.

Et que chacun de nous puisse rendre gloire à Dieu, surtout par sa vie, une vie dépensée pour son amour et pour celui des frères.

Paix aux hommes.

La paix véritable – nous le savons – n’est pas un équilibre entre des forces contraires. Ce n’est pas une belle « façade », derrière laquelle il y a des oppositions et des divisions. La paix est un engagement de tous les jours, mais, la paix est artisanale, on la fait avancer à partir du don de Dieu, de sa grâce qui nous a été donnée en Jésus Christ.

En regardant l’Enfant dans la crèche, enfant de paix, pensons aux enfants qui sont les victimes plus fragiles des guerres, mais pensons aussi aux personnes âgées, aux femmes maltraitées, aux malades… Les guerres brisent et blessent tant de vies !

Le conflit en Syrie en a trop brisé ces derniers temps, fomentant haine et vengeance. Continuons à prier le Seigneur, pour qu’il épargne au bien-aimé peuple syrien de nouvelles souffrances et que les parties en conflit mettent fin à toute violence et garantissent l’accès aux aides humanitaires. Nous avons vu combien la prière est puissante ! Et je suis heureux qu’aujourd’hui des croyants de diverses confessions religieuses s’unissent aussi à notre supplication pour la paix en Syrie. Ne perdons jamais le courage de la prière ! Le courage de dire : Seigneur, donne ta paix à la Syrie et au monde entier. Et j’invite aussi les non-croyants à désirer la paix, avec leur désir, ce désir qui élargit le cœur : tous unis, ou avec la prière ou avec le désir. Mais tous, pour la paix. 

Donne la paix, petit enfant, à la République Centrafricaine, souvent oubliée des hommes. Mais toi, Seigneur, tu n’oublies personne ! Et tu veux porter aussi la paix à cette terre, déchirée par une spirale de violence et de misère, où beaucoup de personnes sont sans maison, sans eau ni nourriture, sans le minimum pour vivre. Favorise la concorde au Sud-Soudan, où les tensions actuelles ont déjà provoqué trop de victimes et menacent la cohabitation pacifique dans ce jeune État.

Toi, Prince de la Paix, convertis partout le cœur des violents pour qu’ils déposent les armes et entreprennent le chemin du dialogue. Regarde le Nigeria, lacéré par de continuelles attaques qui n’épargnent pas les innocents ni ceux qui sont sans défense. Bénis la Terre que tu as choisie pour venir dans le monde et fais aboutir à une heureuse issue les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. Guéris les plaies de l’Irak bien-aimé, encore frappé par de fréquents attentats.

Toi, Seigneur de la vie, protège tous ceux qui sont persécutés à cause de ton nom. Donne espérance et réconfort aux personnes déplacées et aux réfugiés, spécialement dans la Corne de l’Afrique et dans l’est de la République démocratique du Congo. Fais que les migrants en quête d'une vie digne trouvent accueil et aide. Que des tragédies comme celles à laquelle nous avons assisté cette année, avec les nombreux morts à Lampedusa, n’arrivent jamais plus !

Ô Enfant de Bethléem, touche le cœur de tous ceux qui sont impliqués dans la traite des êtres humains, afin qu’ils se rendent compte de la gravité de tels délits contre l’humanité. Tourne ton regard vers les nombreux enfants qui sont enlevés, blessés et tués dans les conflits armés, et vers tous ceux qui sont transformés en soldats, volés de leur enfance.

Seigneur du ciel et de la terre, regarde notre planète, que la convoitise et l’avidité des hommes exploitent souvent sans faire preuve de discernement. Assiste et protège tous ceux qui sont victimes de calamités naturelles, surtout le cher peuple philippin, gravement frappé par le récent typhon.

Chers frères et sœurs, en ce monde, en cette humanité aujourd’hui est né le Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Arrêtons-nous devant l’Enfant de Bethléem. Laissons notre cœur s’émouvoir : n’ayons pas peur de cela. N’ayons pas peur que notre cœur s’émeuve ! Nous avons besoin que notre cœur s’émeuve. Laissons-le se réchauffer à la tendresse de Dieu ; nous avons besoin de ses caresses. Les caresses de Dieu ne font pas de blessures : les caresses de Dieu nous donnent paix et force. Nous avons besoin de ses caresses. Dieu est grand en amour, à Lui la louange et la gloire dans les siècles ! Dieu est paix : demandons-lui qu’il nous aide à la construire chaque jour, dans notre vie, dans nos familles, dans nos villes et dans nos nations, dans le monde entier. Laissons-nous toucher par la bonté de Dieu.




Vœux après le Message Urbi et Orbi
Noël 2013

À vous tous, chers frères et sœurs, venus de partout dans le monde sur cette place, et à vous tous de divers pays qui êtes reliés par les moyens de communication, j’adresse mes vœux : joyeux Noël !

En ce jour illuminé par l’espérance évangélique qui vient de l’humble grotte de Bethléem, j’invoque le don propre à Noël de la joie et de la paix pour tous : pour les enfants et les personnes âgées, pour les jeunes et les familles, pour les pauvres et les exclus. Que Jésus, qui est né pour nous, réconforte tous ceux qui sont éprouvés par la maladie et par la souffrance ; qu’il soutienne ceux qui se consacrent au service de leurs frères qui en ont le plus besoin. Joyeux Noël à tous !

mardi 24 décembre 2013

Messe de la Nuit de Noël 2013

Jésus est l’Amour qui s’est fait chair

Homélie du Pape François pour la Messe de la nuit de Noël.

1. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1).

Cette prophétie d’Isaïe ne finit jamais de nous émouvoir, spécialement quand nous l’écoutons dans la Liturgie de la Nuit de Noël. Et ce n’est pas seulement un fait émotif, sentimental ; elle nous émeut parce qu’elle dit la réalité profonde de ce que nous sommes : nous sommes un peuple en chemin, et autour de nous – et aussi en nous – il y a ténèbres et lumière. Et en cette nuit, tandis que l’esprit des ténèbres enveloppe le monde, se renouvelle l’évènement qui nous émerveille toujours et nous surprend : le peuple en marche voit une grande lumière. Une lumière qui nous fait réfléchir sur ce mystère : mystère du marcher et du voir.

Marcher. Ce verbe nous fait penser au cours de l’histoire, à ce long chemin qu’est l’histoire du salut, à commencer par Abraham, notre père dans la foi, que le Seigneur appela un jour à partir, à sortir de son pays pour aller vers la terre qu’il lui indiquerait. Depuis lors, notre identité de croyants est celle de personnes en marche vers la terre promise. Cette histoire est toujours accompagnée par le Seigneur ! Il est toujours fidèle à son alliance et à ses promesses. Parce qu’il est fidèle, « Dieu est lumière, en lui point de ténèbres » (1 Jn 1, 5). De la part du peuple, au contraire, alternent des moments de lumière et de ténèbres, de fidélité et d’infidélité, d’obéissance et de rébellion ; moments de peuple pèlerin et moments de peuple errant.

Dans notre histoire personnelle aussi, alternent des moments lumineux et obscurs, lumières et ombres. Si nous aimons Dieu et nos frères, nous marchons dans la lumière, mais si notre cœur se ferme, si l’orgueil, le mensonge, la recherche de notre intérêt propre dominent en nous, alors les ténèbres descendent en nous et autour de nous. « Celui qui a de la haine contre son frère – écrit l’apôtre Jean – est dans les ténèbres : il marche dans les ténèbres, sans savoir où il va, parce que les ténèbres l’ont rendu aveugle » (1 Jn 2, 11). Peuple en marche, mais peuple pèlerin qui ne veut pas être peuple errant.

2. En cette nuit, comme un faisceau de lumière d’une grande clarté, résonne l’annonce de l’Apôtre : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2, 11).

La grâce qui est apparue dans le monde c’est Jésus, né de la Vierge Marie, vrai homme et vrai Dieu. Il est venu dans notre histoire, il a partagé notre chemin. Il est venu pour nous libérer des ténèbres et nous donner la lumière. En Lui est apparue la grâce, la miséricorde, la tendresse du Père : Jésus est l’Amour qui s’est fait chair. Il n’est pas seulement un maître de sagesse, il n’est pas un idéal vers lequel nous tendons et dont nous savons que nous sommes inexorablement éloignés, il est le sens de la vie et de l’histoire, qui a établi sa tente au milieu de nous.

3. Les bergers ont été les premiers à voir cette “tente”, à recevoir l’annonce de la naissance de Jésus. Ils ont été les premiers parce qu’ils étaient parmi les derniers, les marginalisés. Et ils ont été les premiers parce qu’ils veillaient dans la nuit, gardant leurs troupeaux. C’est une loi du pèlerin de veiller, et eux veillaient. Avec eux, arrêtons-nous devant l’Enfant, arrêtons-nous en silence. Avec eux remercions le Seigneur de nous avoir donné Jésus, et avec eux laissons monter du plus profond de notre cœur la louange de sa fidélité : Nous te bénissons, Seigneur Dieu Très-Haut, qui t’es abaissé pour nous. Tu es immense, et tu t’es fait petit ; tu es riche, et tu t’es fait pauvre ; tu es le tout-puissant, et tu t’es fait faible.

En cette Nuit, partageons la joie de l’Évangile : Dieu nous aime, il nous aime tant qu’il a donné son Fils comme notre frère, comme lumière dans nos ténèbres. Le Seigneur nous répète : « Ne craignez-pas » (Lc 2, 10). Comme les anges ont dit aux bergers : « Ne craignez pas ». Et moi aussi je répète à vous tous : Ne craignez pas ! Notre Père est patient, il nous aime, il nous donne Jésus pour nous guider sur le chemin vers la terre promise. Il est la lumière qui resplendit dans les ténèbres. Il est la miséricorde : notre Père nous pardonne toujours. Il est notre paix. Amen.

dimanche 22 décembre 2013

Joseph, l’homme fidèle et juste

Paroles du Pape avant l'Angelus.

Chers frères et sœurs, bonjour !

En ce quatrième dimanche de l’Avent, l’Évangile nous raconte les faits qui ont précédé la naissance de Jésus, et l’évangéliste Matthieu les présente du point de vue de saint Joseph, le fiancé de la Vierge Marie.

Joseph et Marie vivaient à Nazareth ; ils n’habitaient pas encore ensemble, parce que le mariage n’était pas encore célébré. Entre temps, Marie, après avoir accueilli l’annonce de l’Ange, tomba enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Lorsque Joseph se rend compte de ce fait, il en est déconcerté. L’Évangile n’explique pas quelles ont été ses pensées, mais il nous dit l’essentiel : il cherche à faire la volonté de Dieu et il est prêt au renoncement le plus radical. Au lieu de se défendre et de faire valoir ses droits, Joseph choisit une solution qui pour lui représente un énorme sacrifice. Et l’Évangile dit : « Joseph, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret » (Mt 1, 19).

Cette courte phrase résume un véritable drame intérieur, si nous pensons à l’amour de Joseph pour Marie ! Mais même dans cette circonstance, Joseph veut faire la volonté de Dieu et décide, certainement avec une grande douleur, de répudier Marie en secret. Il faut méditer sur ces paroles, pour comprendre quelle a été l’épreuve à laquelle Joseph a dû faire face les jours qui ont précédé la naissance de Jésus. Une épreuve semblable à celle du sacrifice d’Abraham, lorsque Dieu lui a demandé son fils Isaac (cf. Gn 22) : renoncer à la chose la plus précieuse, à la personne la plus aimée. Mais, comme dans le cas d’Abraham, le Seigneur intervient : il a trouvé la foi qu’il cherchait et il ouvre une voie différente, une voie d’amour et de bonheur : « Joseph — lui dit-il — ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint » (Mt 1, 20)

Cet Évangile nous montre toute la grandeur d’âme de saint Joseph. Il était en train de suivre un bon projet de vie, mais Dieu lui réservait un autre dessein, une mission plus grande. Joseph était un homme qui écoutait toujours la voix de Dieu, profondément sensible à sa volonté secrète, un homme attentif aux messages qui lui parvenaient du plus profond de son cœur et d’en-haut. Il ne s’est pas obstiné à suivre son projet de vie, il n’a pas laissé la rancœur empoisonner son esprit, mais il a été prêt à se mettre à la disposition de la nouveauté qui lui était présentée d’une façon déconcertante. C’est ainsi, il était un homme bon. Il n’avait pas de haine, et il n’a pas permis que la rancœur empoisonne son âme ! Mais combien de fois la haine, l’antipathie pure, la rancœur nous empoisonnent l’âme ! Cela fait du mal. Ne le permettez jamais ; il est un exemple en cela. Et c'est ainsi que Joseph est devenu encore plus libre et encore plus grand. En s’acceptant selon le dessein du Seigneur, Joseph se trouve pleinement lui-même, au-delà de lui-même. Sa liberté de renoncer à ce qui lui appartient, à la possession de sa propre existence, et sa pleine disponibilité intérieure à la volonté de Dieu nous interpellent et nous montrent le chemin.

Préparons-nous donc à célébrer Noël en contemplant Marie et Joseph : Marie, la femme pleine de grâce qui a eu le courage d’avoir totalement confiance dans la Parole de Dieu ; Joseph, l’homme fidèle et juste qui a préféré croire au Seigneur plutôt que d’écouter les voix du doute et de l’orgueil humain. Avec eux, marchons ensemble vers Bethléem.




Paroles du Pape après l'Angelus.

Je lis là, écrit en grand : « Les pauvres ne peuvent pas attendre ». C’est beau ! Et cela me fait penser que Jésus est né dans une étable, il n’est pas né dans une maison. Après, il a dû fuir, aller en Égypte pour sauver sa vie. À la fin, il est revenu chez lui, à Nazareth. Et je pense aujourd’hui, également en lisant cette inscription, aux nombreuses familles qui n’ont pas de toit, que ce soit parce qu’elle ne l’ont jamais eu ou parce qu’elle l’ont perdu pour de nombreuses raisons. Famille et maison vont de pair. Il est très difficile de mener de l’avant une famille sans habiter dans une maison. En ces jours de Noël, j’invite chacun — personnes, organismes sociaux, autorités — à faire tout leur possible pour que chaque famille puisse avoir une maison.

Je vous salue tous avec affection, chers pèlerins provenant de divers pays pour participer à cette rencontre de prière. Ma pensée va aux familles, aux groupes paroissiaux, aux associations et aux fidèles.

Je souhaite à tous un bon dimanche et un Noël d’espérance, de justice et de fraternité. Bon déjeuner et au revoir !

samedi 21 décembre 2013

"Mon premier Noël d’Évêque de Rome"

Présentation des voeux de Noël du Pape François à la Curie romaine.

Messieurs les Cardinaux,
chers frères dans l’Épiscopat et dans le Sacerdoce,

chers frères et sœurs,
je remercie de tout cœur le Cardinal Doyen pour ses paroles. Merci !

Le Seigneur nous a accordé de parcourir une fois encore le chemin de l’Avent, et nous sommes arrivés rapidement aux derniers jours qui précèdent Noël, jours riches d’un climat spirituel unique, fait de sentiments, de souvenirs, de signes liturgiques et non liturgiques, comme la crèche… Dans ce climat se déroule aussi la traditionnelle rencontre avec vous, Supérieurs et Membres de la Curie romaine, qui collaborez quotidiennement au service de l’Église. Je vous salue tous cordialement. Et permettez-moi de saluer de façon particulière Monseigneur Pietro Parolin, qui a commencé depuis peu son service de Secrétaire d’État, et qui a besoin de nos prières !

Tandis que nos cœurs sont pleins de reconnaissance envers Dieu, qui nous a tant aimés jusqu’à nous donner son Fils unique, il est beau de donner aussi de la place à la gratitude entre nous. Et je sens le besoin, en mon premier Noël d’Évêque de Rome, de vous dire un grand « merci », aussi bien à tous en tant que communauté de travail, qu’à chacun personnellement. Je vous remercie pour votre service de chaque jour : pour le soin, l’application, la créativité ; pour l’engagement, pas toujours facile, à collaborer au bureau, à s’écouter, à se confronter, à valoriser les différentes personnalités et qualités dans le respect réciproque.¨

De façon particulière, je désire exprimer ma gratitude à ceux qui en cette période terminent leur service, et partent à la retraite. Nous savons bien que, comme prêtres et évêques, on ne part jamais à la retraite, mais du bureau, oui, et c’est juste, pour se consacrer aussi un peu plus à la prière et au soin des âmes, en commençant par la sienne ! Donc, un « merci » spécial, du fond du cœur, à vous chers frères qui laissez la Curie, spécialement à vous qui avez travaillé ici pendant de nombreuses années et avec beaucoup de dévouement, de façon cachée. Cela est vraiment digne d’admiration. J’admire beaucoup ces Monseigneurs qui suivent le modèle des vieux Curialistes, personnes exemplaires... Mais aujourd'hui aussi, nous en avons !  Des personnes qui travaillent avec compétence, avec précision, avec abnégation, accomplissant avec soin leur devoir quotidien. Je voudrais ici nommer quelques-uns de nos frères pour leur exprimer mon admiration et ma reconnaissance, mais nous savons que dans une liste, les premiers qui se remarquent sont ceux qui manquent, et en le faisant, je cours le risque d’oublier quelqu’un et de commettre ainsi une injustice et un manque de charité. Je veux donc dire à ces frères qu’ils constituent un témoignage très important sur le chemin de l’Église.

Et ils sont un modèle, et de ce modèle et de ce témoignage, je tire les caractéristiques du membre de la Curie, et encore plus du Supérieur, que je voudrais souligner : le professionnalisme et le service.  

La professionnalisme, qui signifie compétence, étude, mise à jour… C’est une qualité fondamentale pour travailler à la Curie. Naturellement le professionnalisme se forme, et en partie aussi, s’acquiert ; mais je pense que, vraiment parce qu’elle se forme et parce qu’elle doit être acquise, il faut qu’il y ait dès le départ  une bonne base.

La seconde caractéristique est le service, service du Pape et des Évêques, de l’Église universelle et des Églises particulières. Dans la Curie Romaine on apprend, « on respire » de manière spéciale cette double dimension de l’Église, cette compénétration entre universel et particulier ; et je pense que c’est une des expériences les plus belles de celui qui vit et travaille à Rome : « sentir » l’Église de cette manière. Quand il n’y pas de professionnalisme, lentement on glisse vers le terrain de la médiocrité. Les dossiers deviennent des informations de « clichés » et des communications sans levain de vie, incapables de produire de larges horizons. D’autre part, quand l’attitude n’est pas celle du service des Églises particulières et de leurs Évêques, alors la structure de la Curie grandit comme une pesante douane bureaucratique, d’inspection et d’inquisition et qui ne permet pas l’action du Saint Esprit et la croissance du peuple de Dieu.

À ces deux qualités, professionnalisme et service, je voudrais en ajouter une troisième, qui est la sainteté de la vie. Nous savons bien que c’est elle la plus importante dans la hiérarchie des valeurs. En effet, elle est aussi à la base de la qualité du travail, du service. Et je voudrais dire ici que dans la Curie romaine il y a eu et il y a des saints. Je l’ai dit publiquement plus d’une fois, pour remercier le Seigneur. Sainteté signifie vie immergée dans l’Esprit, ouverture du cœur à Dieu, prière constante, humilité profonde, charité fraternelle dans les relations avec les collègues. Elle signifie aussi apostolat, service pastoral discret, fidèle, accompli avec zèle au contact direct du peuple de Dieu. Ceci est indispensable pour un prêtre. Sainteté dans la Curie signifie aussi objection de conscience. Oui, objection de conscience aux bavardages ! Nous insistons beaucoup à juste titre sur la valeur de l’objection de conscience, mais peut-être devons-nous l’exercer aussi pour nous défendre d’une loi non écrite de notre environnement, qui est malheureusement celle des bavardages. Alors faisons tous objection de conscience ; mais attention je ne veux pas faire seulement un discours moral ! Parce que les bavardages abîment la qualité des personnes, abîment la qualité du travail et de l’environnement.

Chers frères, sentons-nous tous unis en ce dernier bout de chemin vers Bethléem. Méditer sur le rôle de Saint Joseph, si silencieux et si nécessaire auprès de la Vierge, peut nous faire du bien. Pensons à lui, à sa prévenance envers son Épouse et envers l’Enfant. Cela nous dit tant de choses sur notre service de l’Église ! Alors vivons ce Noël spirituellement proches de Saint Joseph. Cela nous fera du bien à tous !

Je vous remercie beaucoup pour votre travail, et surtout pour vos prières. Vraiment je me sens « porté » par les prières, et je vous demande de continuer à me soutenir de cette manière. Moi aussi je vous rappelle au Seigneur et je vous bénis, souhaitant un Noël de lumière et de paix à chacun de vous et aux personnes qui vous sont chères. Joyeux Noël !

mercredi 18 décembre 2013

La terre n’est plus seulement une "vallée de larmes", mais le lieu où Dieu lui-même a planté sa tente

Audience Générale du Pape François.

Chers frères et sœurs, bonjour,

Notre rencontre se déroule dans le climat spirituel de l’Avent, rendu encore plus intense par la neuvaine du Saint Noël, que nous vivons en ces jours et qui nous conduit aux fêtes de la Nativité. C’est pourquoi aujourd’hui, je voudrais réfléchir avec vous sur le Noël de Jésus, fête de la confiance et de l’espérance, qui surmonte l’incertitude et le pessimisme. Et la raison de notre espérance est celle-ci : Dieu est avec nous et Dieu a encore confiance en nous ! Mais pensez bien à cela : Dieu est avec nous et Dieu a encore confiance en nous. Il est généreux ce Dieu le Père ! Il vient habiter avec les hommes, choisit la terre comme sa demeure pour être aux côtés de l’homme et être présent là où l’homme passe ses jours dans la joie ou dans la douleur. C’est pourquoi la terre n’est plus seulement une « vallée de larmes », mais elle est le lieu où Dieu lui-même a placé sa tente, elle est le lieu de la rencontre de Dieu avec l’homme, de la solidarité de Dieu avec les hommes.

Dieu a voulu partager notre condition humaine au point de devenir une seule chose avec nous en la personne de Jésus, qui est vrai Dieu et vrai homme. Mais il y a quelque chose d’encore plus surprenant. La présence de Dieu dans l’humanité ne s’est pas réalisée dans un monde idéal, idyllique, mais dans ce monde réel, marqué par tant de choses bonnes et mauvaises, marqué par les divisions, la malveillance, la pauvreté, les abus de pouvoir et les guerres. Il a choisi d’habiter notre histoire telle qu’elle est, avec tout le poids de ses limites et de ses drames. Ce faisant, il a montré de façon unique sa disposition miséricordieuse et pleine d’amour pour les créatures humaines. Il est Dieu-avec-nous ; Jésus est Dieu-avec-nous. Croyez-vous cela ? Faisons ensemble cette profession : Jésus est Dieu-avec-nous ! Jésus est Dieu-avec-nous depuis toujours et pour toujours avec nous dans les souffrances et dans les douleurs de l’histoire. Le Noël de Jésus est la manifestation de Dieu qui s’est « rangé » une fois pour toutes du côté de l’homme, pour nous sauver, pour nous relever de la poussière de nos pauvretés, de nos difficultés, de nos péchés.

C’est de là que provient le grand « don » de l’Enfant de Bethléem : Il nous apporte une énergie spirituelle, une énergie qui nous aide à ne pas sombrer dans nos difficultés, dans nos désespoirs, dans nos tristesses, parce que c’est une énergie qui réchauffe et transforme le cœur. La naissance de Jésus, en effet, nous apporte la belle nouvelle que nous sommes intensément aimés et particulièrement de Dieu, et cet amour, il nous le fait non seulement connaître, mais il nous le donne, il nous le communique !

Nous pouvons tirer deux considérations de la contemplation joyeuse du mystère du Fils de Dieu né pour nous.

La première est que si dans Noël, Dieu se révèle non pas comme quelqu’un qui est en haut et qui domine l’univers, mais comme Celui qui s’abaisse, qui descend sur terre petit et pauvre, cela signifie que pour être semblables à Lui, nous ne devons pas nous placer au-dessus des autres, mais au contraire nous abaisser, nous mettre au service, nous faire petits avec les petits et pauvres avec les pauvres. Mais c’est triste lorsque l’on voit un chrétien qui ne veut pas s’abaisser, qui ne veut pas servir. Un chrétien qui se pavane partout, c’est triste : ce n’est pas un chrétien, c’est un païen. Le chrétien sert, il s’abaisse. Faisons en sorte que nos frères et sœurs ne se sentent jamais seuls !

La deuxième conséquence : si Dieu, au moyen de Jésus, s’est impliqué avec l’homme au point de devenir l’un de nous, cela veut dire que quoi que nous fassions à un frère ou à une sœur, c’est à Lui que nous l’aurons fait. Jésus lui-même nous l’a rappelé : celui qui aura nourri, accueilli, visité, aimé l’un des plus petits et des plus pauvres de ces hommes, il l’aura fait au Fils de Dieu.


Confions-nous à l’intercession maternelle de Marie, Mère de Jésus et notre Mère, afin qu’elle nous aide en ce Saint Noël, désormais proche, à reconnaître dans le visage de notre prochain, en particulier des personnes plus faibles et exclues, l’image du Fils de Dieu fait homme.

[...] Que Dieu vous bénisse ! Bonne préparation à Noël !